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pu consentir, malgré mes justes mécontentemens, à lui donner rendez-vous pour demain, dans un lieu plus solennel que la salle où nous étions. Mais ce qui est bien décidé dans mon esprit, c’est qu’il n’obtiendra pas mon consentement pour demeurer une seule nuit dans cette maison. Il vient de me donner une plus forte raison que jamais, pour m’attacher à cette résolution. Hélas ! Ma chère, qu’il est inutile de dire ce qu’on veut ou ce qu’on ne veut pas, lorsqu’on s’est livré au pouvoir de ce sexe ! Après m’avoir quittée à ma prière, il est descendu jusqu’à l’heure du souper ; et me faisant redemander alors un moment d’ audience , comme il l’appelle, il m’a suppliée de lui laisser passer ici cette seule nuit, en me promettant de partir demain après le déjeûner, pour se rendre auprès de Milord M, ou à Edgware, chez son ami Belford. Si je m’y opposais absolument, m’a-t-il dit, il ne pouvait demeurer à souper ; et demain il espérait de me revoir avant huit heures. Mais il s’est hâté d’ajouter qu’après ce qu’il avait dit aux femmes de la maison, mon refus leur paraîtrait singulier, d’autant plus qu’il étoit déjà convenu de prendre toutes les chambres vacantes, à la vérité pour un mois seulement, et par la raison qu’il m’avait expliquée : qu’au reste, rien ne m’obligeait d’y demeurer deux jours, si je prenais quelque dégoût pour la veuve et pour ses nièces dans l’entretien que je devais avoir le lendemain avec elles. Malgré la résolution à laquelle je m’étais arrêtée, j’ai jugé que, dans les circonstances qu’il me représentait, on pouvait m’accuser de pousser la délicatesse trop loin ; sans compter que je n’étais pas sûre de le trouver disposé à m’obéir ; car j’ai cru lire dans ses yeux qu’il était résolu de ne pas se rendre aisément. Comme je ne vois que trop qu’il n’y a point d’apparence de réconciliation du côté de mes amis, et que j’ai commencé à recevoir ses soins avec moins de réserve, il m’a semblé que je ne devais pas quereller avec lui, si je pouvais l’éviter ; surtout, lorsqu’il ne demandait qu’une seule nuit, et qu’il aurait pu demeurer sans ma participation : ajoutez que, suivant votre opinion, la défiance que le fier personnage a de mes sentimens, m’obligera probablement de me relâcher un peu en sa faveur. Toutes ces raisons m’ont déterminée à lui céder ce point. Cependant il me restait tant de chagrin de l’autre, que ma réponse s’en est ressentie : il ne faut pas espérer, lui ai-je dit, que vous renonciez jamais à vos volontés. Les promesses ne vous coûtent rien ; mais vous n’êtes pas moins prompt à les oublier. Cependant vous m’assurez que votre résolution est de partir demain. Vous savez que j’ai été fort mal. Ma santé n’est pas assez rétablie pour me permettre d’entrer en dispute sur toutes vos voies obliques. Mais je vous déclare encore que je suis très-peu satisfaite du roman que vous avez fait ici ; et je ne vous promets pas de paraître demain, devant les femmes de cette maison, ce que je ne suis point. Il est sorti de l’air le plus respectueux, en me demandant, pour unique faveur de le traiter demain avec assez de bonté, pour ne pas faire connaître à la veuve qu’il m’ait donné quelque sujet de mécontentement. Je me suis retirée dans mon appartement, et Dorcas est venue pour recevoir mes ordres : je lui ai dit que je ne demandais pas une assiduité gênante, et que mon usage est de m’habiller et de me déshabiller moi-même. Elle en a marqué de l’inquiétude, comme si cette réponse était