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D’autres mains peuvent ressembler à la mienne. Vous ne m’avez pas vu l’écrire.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

lundi après midi, 15 de mai. C’est à présent, ma meilleure, mon unique amie, qu’il ne me reste plus, en effet, deux partis à choisir. Je reconnais à présent que j’ai poussé mon ressentiment trop loin, puisque je me trouve dans le cas de paraître obligée à la patience de cet homme, pour une conduite qui peut lui sembler capricieuse et puérile, ou plutôt, qui lui a fait connaître le peu d’estime que j’ai pour lui. Il la croira du moins fort subordonnée ; pendant que son orgueil lui persuade qu’il la mérite exclusive et du premier ordre. Oh ! Ma chère, se voir forcée de se jeter comme au-devant d’un homme qui n’est pas, en vérité, un homme généreux ! Cette idée n’est-elle pas capable d’affliger mortellement une jeune personne pour laquelle tout autre espérance est évanouie, et qui n’a plus par conséquent devant elle qu’une éternité de tristesse, dont l’homme auquel sa mauvaise destinée la livre, est capable lui-même de se faire un cruel plaisir ? Il me semble, en vérité, que c’est à quoi je m’attends avec ce sauvage. Quel sort est le mien ! Vous me donnez, ma chère, un fort bon conseil sur la manière décisive dont je dois lui parler. Mais considérez-vous à qui vous donnez ce conseil ? De toutes les femmes du monde, j’étais celle qui devais me trouver le moins dans l’occasion de le recevoir ; car il surpasse absolument mes forces. Moi, presser un homme d’être mon mari ! Moi, rassembler toutes mes forces pour hâter les résolutions d’un homme trop lent ! Chercher moi-même à faire renaître une occasion que j’ai perdue ! Menacer en quelque sorte, employer du moins les reproches, pour assurer mon mariage ! Ah ! Chère Miss Howe, si ce parti est juste, s’il est sage, que cette justice et cette sagesse doivent coûter à la modestie, ou à la fierté, si vous l’aimez mieux ! Ou pour m’exprimer dans vos termes, se tenir lieu à soi-même de père, de mère et d’oncles ! Sur-tout lorsqu’on a lieu de croire que l’homme veut s’en faire un triomphe ! Par pitié, ma chère, conseillez-moi, persuadez-moi de renoncer pour jamais à lui, et j’embrasserai pour jamais votre conseil. Vous m’apprenez que vous avez fait l’essai du crédit de Madame Norton sur ma mère ; vous me cachez, dites-vous, une partie de la fâcheuse réponse qu’on a faite à M Hickman ; et vous ajoutez que peut-être ne m’en apprendrez-vous jamais davantage. Pourquoi donc, ma chère ? Quelles sont, quelles peuvent être les fâcheuses réponses que vous ne devez jamais m’apprendre ? Quoi de pire que de renoncer pour jamais à moi ? " mon oncle, dites-vous, me croit perdue. Il déclare qu’il se persuade tout au désavantage d’une fille qui a pu s’enfuir avec un homme ; et tous sont résolus de ne pas se remuer d’un seul pas, quand il serait question de me sauver la vie ! " me tenez-vous quelque chose de pis en réserve ? Parlez, ma chère ! Mon père n’aura pas renouvelé contre moi sa terrible malédiction. Ma mère du moins n’y aura pas joint la sienne. Mes oncles l’auraient-ils scellée de leur consentement ? En aurait-on fait un acte de famille ?