Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/75

Cette page n’a pas encore été corrigée

nom de dieu, plus de délais de votre part. Fixez-lui le jour ; et que ce jour ne soit pas éloigné. Ce serait déroger et à votre mérite, et à votre honneur, permettez-moi de le dire, quand même ses explications ne seraient pas aussi nettes qu’elles doivent l’être, de paraître douter de ses intentions, et d’attendre des confirmations qui me le feraient mépriser éternellement, s’il les rendait nécessaires. Souvenez-vous, ma chère, qu’un excès de modestie vous a déjà fait manquer deux fois, ou plus souvent, des occasions que vous n’auriez pas dû laisser échapper. à l’égard des articles, s’ils ne viennent pas naturellement, je les abandonnerais à sa propre volonté et à celle de sa famille. Alors vous êtes à la fin de vos embarras. Voilà mon avis. Faites-y les changemens qui conviendront aux circonstances, et suivez le vôtre. Mais en vérité, ma chère, je ferais ce que je vous conseille, ou quelque chose d’approchant ; et je ne balance point à le signer de mon nom. Anne Howe. Il faut que je vous communique mes propres chagrins, quoique vous soyez si tourmentée des vôtres. J’ai une nouvelle curieuse à vous apprendre. Votre oncle Antonin pense à se marier. Devinez avec qui ? Avec ma mère. Rien n’est plus vrai. Votre famille le sait déjà. On en rejette la faute sur vous, avec un redoublement de malignité ; et le vieux masque n’apporte pas d’autre excuse. Ne faites pas connaître que vous en soyez informée ; et de peur d’accident, ne m’en parlez pas même dans vos lettres. Je ne crois pas que cette folle idée puisse réussir. Mais c’est un bon prétexte pour quereller ma mère ; et si je n’en avais pas manqué jusqu’à présent, ne doutez pas que je ne fusse depuis long-temps à Londres. Aux premières marques d’encouragement que je croirai découvrir de sa part, je donne son congé à Hickman ; cela est certain. Si ma mère me chagrine sur un point de cette importance, je ne vois pour moi aucune raison de l’obliger sur l’autre. Il est impossible que ses vues ne soient qu’une ruse pour me faire hâter mon mariage. Je répète que ce beau projet ne peut réussir. Mais ces veuves sont étranges. Sans compter que, vieilles ou jeunes, nous sommes toutes si aises qu’on nous fasse la cour et qu’on nous admire ! à cet âge-là sur-tout, il est si doux pour une mère de se voir comme ramenée à la classe de sa fille ! J’ai souffert beaucoup de l’air de satisfaction qui était répandu sur son visage lorsqu’elle m’a communiqué les propositions. Cependant elle affectait de m’en parler comme d’une chose qui la touchait peu. Ces garçons surannés, qui se trouvent vieux sans s’en appercevoir, n’ont pas plutôt pris leur parti, qu’il ne leur reste rien de plus pressant que de faire connaître leurs intentions. Au fond, les richesses de votre oncle sont une puissante amorce. Ajoutez, une fille impertinente dont on n’est pas fâché de se défaire ; et la mémoire du père de cette fille, qui ne paraît pas fort précieuse. Mais que l’un avance, s’il a cette hardiesse. Que l’autre ait celle de l’encourager. Nous verrons, nous verrons. J’espère néanmoins que j’en serai quitte pour la peur. Pardon, ma chère, je suis piquée. Peut-être me trouverez-vous coupable. Aussi me garderai-je bien de mettre mon nom à ce billet.