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ne vous le dirai-je jamais. Je suis irritée contre ma propre mère, qui a la petitesse d’esprit de s’attacher, sans distinction, à de vieilles maximes. Je suis furieuse contre votre insensé Lovelace et contre sa misérable vanité. Cependant tenons-nous, puisque c’est votre sort, à vous attacher au sien, et à tirer de lui le meilleur parti qu’il est possible. Il ne s’est rendu coupable d’aucune indécence dont vous soyez directement blessée. Il n’oserait : sa méchanceté n’est pas assez infernale. S’il avait cette horrible intention, elle ne se serait pas dérobée jusqu’à présent, dans la dépendance où vous êtes de lui, à des yeux aussi pénétrans que les vôtres, à un cœur aussi pur ! Sauvons donc ce misérable, si nous le pouvons ; quoiqu’au risque de nous salir les doigts en aidant à le tirer de sa fange. Mais il me semble que, pour une personne de votre fortune et de votre indépendance, il y a d’autres soins encore dont vous devez être occupée, si vous en venez aux termes que je crois désormais indispensables. Vous ne m’apprenez point qu’il vous ait encore parlé de contrat ni de permission ecclésiastique. C’est une réflexion fâcheuse ; mais comme votre mauvaise destinée vous prive de toute autre protection, vous devez vous tenir lieu à vous-même de père, de mère, d’oncles, et traiter vous-même ces deux points. Il le faut absolument ; votre situation vous y force. à quoi reviendrait à présent la délicatesse ? Aimeriez-vous mieux néanmoins que je fisse la démarche de lui écrire ? Mais ce serait comme si vous lui écriviez vous-même, et vous pourriez lui écrire en effet, si vous trouvez trop de peine à parler. Cependant le mieux assurément serait de vous expliquer de bouche. Les paroles ne laissent aucune trace. Elles passent comme l’haleine, et se mêlent avec l’air. On peut en resserrer le sens, ou l’étendre ; au lieu que l’expression de la plume est un témoignage authentique. Je connais la douceur de votre esprit. Je ne connais pas moins la louable fierté de votre cœur, et la juste idée que vous avez de la dignité de notre sexe dans des occasions si délicates. Mais, encore une fois, c’est à quoi vous ne devez pas vous arrêter à présent. Votre honneur est intéressé à ne pas insister sur ce point. " Monsieur Lovelace, dirais-je, (sans trouver le personnage moins ridicule pour son stupide orgueil, qui lui fait souhaiter une sorte de triomphe sur la dignité de sa femme) je me vois privée à votre occasion de tout ce que j’avais d’amis au monde. Comment dois-je me regarder par rapport à vous ? J’ai tout considéré. Vous avez fait croire à plusieurs personnes, contre mon inclination, que je suis mariée. D’autres savent que je ne le suis pas ; et je ne souhaite point que personne croie que je le suis. Pensez-vous qu’il soit avantageux pour ma réputation de vivre avec vous sous le même toît ? Vous me parlez de la maison de Madame Fretchville : si cette femme est incertaine dans ses projets, que m’importe sa maison ? Vous m’avez parlé de me procurer la compagnie de votre cousine Montaigu ; si le complot de mon frère est votre prétexte pour ne pas aller lui faire cette proposition vous-même, vous pouvez lui écrire. J’insiste sur ces deux points. Que vos parens s’y prêtent ou non, c’est ce qui doit m’être indifférent, si la chose l’est pour eux ". Une déclaration de cette nature avancera beaucoup vos affaires. Il y a mille moyens, ma chère, que vous trouveriez pour une autre dans les mêmes circonstances. De l’insolence dont il est naturellement, il ne voudra pas qu’on puisse penser qu’il ait besoin de consulter personne, il sera forcé par conséquent de s’expliquer ; et s’il s’explique, au