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doute de votre tendresse pour lui ; voilà ce que je trouve de plus probable : mais vous devez être surprise de lui voir si peu d’ardeur, lorsqu’il est maître en quelque sorte de son propre bonheur. Ce que vous venez de lire vous a fait juger sans doute du succès de la conférence entre M Hickman et votre oncle. Je suis irritée, sans exception, contre tous ces gens-là. Sans exception, je dois le dire ; car j’ai fait sonder votre mère par votre bonne Norton, dans la même vue qui a fait agir M Hickman. Jamais on n’a vu dans le monde des brutes si déterminées. Pourquoi m’arrêter au détail ? J’ignore seulement jusqu’à quel point on peut excepter votre mère. Votre oncle soutient que vous êtes perdue. " il se persuade tout, dit-il, au désavantage d’une fille qui a pu s’enfuir avec un homme ; sur-tout avec un homme tel que Lovelace. Ils s’attendaient à vous entendre parler de réconciliation, lorsqu’il vous serait arrivé quelque pesante disgrâce ; mais ils étoient tous résolus de ne pas se remuer d’un pas en votre faveur, quand il s’agirait de vous sauver la vie ". Ma très-chère amie, déterminez-vous à faire valoir vos droits, redemandez ce qui est à vous, et prenez le parti d’aller vivre, comme vous le devez, dans votre propre maison. Alors, si vous ne vous mariez pas, vous aurez le plaisir de voir ces misérables ramper devant vous, dans l’espérance d’une reversion. On vous accuse, comme votre tante l’a déjà fait dans sa lettre, de préméditation et de ruse dans votre fuite. Au lieu d’être touchée de quelque compassion pour vous, ils en ont demandé au médiateur pour eux-mêmes, qui vous aimaient autrefois jusqu’à l’idolâtrie, dit votre oncle ; qui ne connaissaient de joie qu’en votre présence ; qui dévoraient tous les mots à mesure qu’ils sortaient de votre bouche ; qui marchaient sur vos pas lorsque vous marchiez devant eux ; et je ne sais combien d’affectations de cette nature. En un mot, il est évident pour moi, comme il doit l’être pour vous, après avoir lu cette lettre, qu’il ne vous reste qu’un seul choix, et que vous ne sauriez vous hâter trop de le faire. Supposerons-nous que ce choix n’est pas en votre pouvoir ? Je n’ai pas la patience de faire cette supposition. à la vérité, je ne suis pas sans quelque embarras sur la manière dont vous vous y prendrez pour revenir à lui, après l’avoir tenu si rigoureusement éloigné, et sur la vengeance même à laquelle son orgueil peut le porter. Mais je vous assure que la résolution où je suis de partager votre sort peut bien dispenser une ame si noble de se rabaisser trop, à plus forte raison, s’il peut empêcher votre ruine, je n’hésiterai pas un moment à partir. Qu’est-ce pour moi que le monde entier, lorsque je le mets en balance avec une amitié telle que la nôtre ? Pensez-vous que cette vie ait quelque plaisir qui pût en être un pour moi, s’il me fallait voir une amie telle que vous dans un abîme dont j’aurais pu la tirer par le sacrifice de tout ce qui porte ce nom ? Et lorsque je vous tiens ce langage, et que je suis prête à le vérifier, n’est-il pas vrai que ce que je vous offre n’est que le fruit d’une amitié dont j’ai l’obligation à votre mérite ? Pardonnez la chaleur de mes expressions. Celle de mes sentimens est fort au-dessus. Je suis enragée contre votre famille ; car, tout odieux qu’est ce que vous venez de lire, je ne vous ai pas tout dit ; et peut-être