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dans vos lettres, sur la démarche à laquelle vous avez été poussée, d’un côté, par la violence, et entraînée de l’autre par l’artifice. étrange fatalité ! Il semble que le dessein du ciel soit de montrer la vanité de tout ce qu’on appelle prudence humaine. Je souhaite, ma chère, que vous et moi, comme vous le dites, nous ne nous soyons pas trompées par le témoignage intérieur de notre supériorité sur beaucoup d’autres. Mais je m’arrête. Nos foibles esprits sont portés à chercher des raisons au-dehors, pour expliquer tous les événemens extraordinaires. Il est plus juste et plus sûr de nous en prendre à nous et à nos plus chers amis, qu’à la providence, qui ne peut avoir que des vues sages dans toutes ses dispensations. Mais ne croyez pas, comme vous me l’avez marqué dans une de vos lettres, que votre disgrâce ne soit propre qu’à servir d’avertissement. Vous serez en même-tems un aussi excellent exemple que vous ayez jamais espéré de l’être dans une situation heureuse. Ainsi l’histoire de vos malheurs aura une double force pour ceux qui en seront informés ; car s’il arrivait qu’un mérite tel que le vôtre ne vous assurât pas un traitement généreux de la part d’un libertin, qui s’attendrait jamais à trouver la moindre ressource d’honnêteté dans les hommes de ce caractère ? Si vous vous croyez inexcusable d’avoir fait une démarche qui vous expose à la mauvaise foi d’un homme, sans avoir eu l’intention de fuir avec lui, que doivent penser d’elles-mêmes toutes ces femmes impudentes qui, sans la moitié de vos motifs, sans aucun respect pour la bienséance, sautent les murs, descendent par les fenêtres, et passent dans un même jour de la maison d’un père au lit d’un vil séducteur ! Si vous vous reprochez avec tant de rigueur d’avoir résisté aux défenses des plus déraisonnables parens du monde, à des défenses même qui n’ont eu d’abord que la moitié de leur force ; que doivent faire ces filles endurcies qui ferment volontairement l’oreille aux plus sages conseils, et dans des circonstances peut-être où leur ruine est visiblement le fruit d’une indiscrétion préméditée ? Enfin vous serez, pour tous ceux qui apprendront votre histoire, un excellent exemple de cette vigilance et de cette réserve par laquelle une personne prudente, qu’on suppose un peu égarée du chemin, s’efforce de réparer son erreur, et sans perdre une fois de vue son devoir, fait tout ce qui dépend d’elle pour rentrer dans le sentier hors duquel on peut dire qu’elle a plutôt été poussée qu’elle ne s’en est éloignée. Rappelez votre courage, ma très-chère amie ; occupez-vous seulement de ces réflexions ; et loin de tomber dans l’abattement, ne cessez pas de travailler de toutes vos forces à rectifier ce que vous regardez comme un sujet de reproche. Il peut arriver qu’à la fin votre égarement ne mérite pas le nom d’infortune, sur-tout lorsque votre volonté n’y a pas eu plus de part. Et je dois vous dire, en vérité, que si j’emploie les termes d’ égarement et d’ erreur , c’est pour me conformer à la disposition qui vous porte vous-même à vous accuser si librement, et par respect pour l’opinion d’une personne à qui j’en dois beaucoup ; car je suis persuadée, au fond de ma conscience, que votre conduite peut être justifiée sur tous les articles, et qu’il n’y a de blâmables dans votre aventure que ceux qui