Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’autant plus que ce ne pouvait être pour long-temps ; à moins que je n’aimasse mieux chercher une autre maison. Jusques-là, tout allait assez bien ; mais, n’ayant pas de peine à deviner qu’il ne parlait de la veuve avec cette défiance, que pour avoir un prétexte de se loger dans la maison, je lui ai demandé nettement quelle était là-dessus son intention. Il m’a confessé, sans détour, que, dans les conjonctures présentes, si je ne pensais point à changer de logement, il ne pouvait consentir à s’éloigner de moi six heures entières, et qu’il avait préparé la veuve à s’attendre que nous ne serions que peu de jours chez elle, pour nous donner seulement la facilité de chercher une maison, et de nous établir d’une manière convenable à notre condition. Nous établir ! Nous ! Notre ! M Lovelace, dans quel sens, s’il vous plaît… mais, chère Clarisse, a-t-il repris en m’interrompant, si vous aviez la patience de m’entendre… à la vérité, je crains à demi, d’avoir été trop vîte, et j’ai tort, peut-être, de ne vous avoir pas consultée ; mais, comme tous mes amis de Londres, sont persuadés, suivant la lettre de Doleman, que nous sommes déjà mariés… qu’entends-je ? Assurément, monsieur, vous n’aurez pas eu l’audace… écoutez-moi, très-chère Clarisse… vous avez reçu ma proposition avec bonté. Vous m’avez fait espérer l’honneur de votre consentement. Cependant, en éludant mes ardentes instances chez Madame Sorlings, vous m’avez fait appréhender des délais. à présent que vous m’honorez de votre confiance, je ne voudrais pas, pour le monde entier, qu’on me crut capable de vous engager dans une démarche précipitée ; cependant, le projet de votre frère n’est rien moins qu’abandonné. J’apprends que Singleton est actuellement à Londres ; qu’il a son vaisseau à Rotherhith ; que votre frère a disparu du château d’Harlove. S’ils peuvent se persuader une fois que nous sommes mariés, tous leurs complots tombent d’eux-mêmes. Je suis porté à bien juger du caractère de la veuve ; mais vous conviendrez que, plus elle est honnête femme, plus le danger serait grand de sa part, si l’agent de votre frère venait à nous découvrir ; puisqu’il en sera plus aisé de lui persuader que sa conscience l’oblige de prendre le parti d’une famille contre une jeune personne qui s’oppose aux volontés de ses proches : aulieu que, nous croyant mariés, sa probité même devient une défense pour nous et la mettra infailliblement dans nos intérêts. J’ai pris soin d’ailleurs, de lui expliquer, par de bonnes raisons, pourquoi nous n’occupons pas encore le même appartement. Ce discours m’a mise hors de moi-même ; j’ai voulu le quitter dans ma colère : mais il s’y est opposé avec respect. Que pouvais-je faire ? Où trouver un asile, lorsque la nuit commençait à s’approcher ? Vous m’étonnez, lui ai-je dit. Si vous êtes homme d’honneur, pourquoi ces étranges détours ? Vous ne vous plaisez à marcher que par des voies obliques. Apprenez-moi du moins, puisque je suis forcée de souffrir votre compagnie (car il me retenait par la main), apprenez-moi tout ce que vous avez dit de fabuleux. En vérité, M Lovelace, vous êtes un homme inexplicable. Ma très-chère Clarisse ! Avois-je besoin de vous faire ce récit ? Et ne pouvais-je pas me loger dans cette maison, sans que vous en eussiez la