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à sa mort, digne d’admiration et d’envie… lorsqu’il considère, comme il le fait quelquefois en tremblant, que le vice était enraciné dans son coeur ; que tous ces avis et cet aimable exemple étoient nécessaires pour lui donner la force de les vaincre, et que ces faveurs du ciel sont rarement accordées aux personnes du même ordre, ou du moins qu’elles font peu d’impression dans la fleur de la jeunesse et dans la pleine force du tempérament ; lorsque toutes ces idées se présentent à sa raison, il adore la bonté qui a rassemblé tant de moyens pour l’arracher, comme un tison enflammé, du lieu de la fournaise ; il se croit obligé d’employer tous ses efforts et tous ses soins à rappeler ceux que son exemple peut avoir égarés, et de réparer, non seulement tout le mal qu’il a commis, mais celui dont il peut avoir été l’occasion. à l’égard du dépôt sacré dont il avait été chargé par une femme céleste, il a répondu à cet honneur avec autant de plaisir que de fidélité, et, il ose dire, à la satisfaction de tout le monde, et même à celle de la malheureuse famille, qui lui a fait faire des remerciemens à cette occasion. On lui permettra de déclarer aussi, qu’en rendant ses comptes, il a renoncé au legs que la généreuse testatrice lui avait assigné dans la bonté de son cœur. Il l’a remis à la famille, pour être employé suivant d’autres vues du testament.

Il ne restait qu’une bénédiction terrestre à désirer pour M Belfort, parce qu’il la croyait capable de lui assurer la possession de toutes les autres ; c’était le plus grand de tous les biens sensibles, une femme vertueuse et prudente. Après une vie aussi libre que la sienne, il ne s’est pas jugé digne d’un si grand bien, sans s’être assuré, par un examen de bonne foi que ses nouvelles résolutions et son horreur pour ses anciens goûts étoient si sincères, qu’il ne devait pas les croire capables de changer. Dans cette confiance, s’étant rappelé quelques ouvertures flatteuses de M Lovelace, et sa bonne fortune lui ayant offert l’occasion d’obliger Milord M et toute cette illustre maison par un service important, il a demandé à ce seigneur la permission de rendre ses soins à Miss Charlotte Montaigu, l’aînée de ses deux nièces. Les conditions qu’il a proposées lui ont fait obtenir l’approbation de milord ; et Miss Charlotte, qui n’avait pas d’engagement, lui a fait l’honneur d’accepter sa main. Il s’est trouvé tout d’un coup le plus heureux de tous les hommes. Milord, ne mettant pas de bornes à sa bonté, s’est fait un plaisir d’ajouter, pendant le temps même de sa vie, un bien considérable à la fortune naturelle de Miss Montaigu. Miladi Lawrance et Miladi Sadleir ont suivi son exemple ; et le ciel ayant donné, avant sa mort, qui est arrivée trois ans après celle de son neveu, un fils à M Belford, il s’est déterminé à faire tomber sur ce fils, le plus proche de son sang, l’héritage de tous ses droits, avec la moitié de son bien réel, dont il a laissé l’autre moitié à sa seconde nièce, Miss Patty Montaigu. Cette jeune demoiselle, à laquelle il ne manque aucune vertu, demeure actuellement avec sa sœur, et doit être mariée cet hiver à l’héritier d’une grande maison, qui arrive de ses voyages, et pour lequel on n’a pas cru que la Grande-Bretagne offrît un meilleur choix.

Le colonel Morden, avec tant de vertus et de lumières, ne peut être malheureux dans aucun pays du monde. Cependant son affaire avec M Lovelace lui a fait perdre le dessein de venir résider en Angleterre aussi-tôt qu’il se l’était proposé.



M Morden à M Belford.

du château d’Harlove, dimanche au soir, 10 septembre.

Mon cher monsieur,

je vous envoie, comme je vous l’avais promis, le récit de ce qui se passe ici.

La pauvre Madame Norton s’est trouvée si mal en chemin, que, malgré les précautions que j’avais prises pour faire marcher doucement le char funèbre et la chaise qui le suivait, je craignais de laisser cette digne femme sur la route avant notre arrivée à Saint-Albans. Enfin nous y arrivâmes ; et aussi-tôt je fis dételer, dans l’espérance qu’un peu de repos la