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mais ils déclarent souvent qu’ils ont perdu, avec leur nièce, toute la joie de leur vie ; et dans toutes les compagnies, ils déplorent tous deux, sans ménagement, la part qu’on les a forcés de prendre à des injustices qu’ils ne cessent pas de se reprocher.

M Solmes vit encore ; du moins si l’on peut compter un homme de son caractère au nombre des vivans ; car sa conduite et ses manières justifient, aux yeux du public, l’aversion que la plus aimable de toutes les femmes avait pour lui. Malgré ses richesses, il a vu ses offres rejetées de plusieurs femmes d’une fortune extrêmement inférieure à celle où d’indignes vues lui avoient donné la présomption d’aspirer.

M Mowbray et M Tourville, après avoir perdu leur chef et l’ame de leur société, tombèrent, par diverses aventures, dans des embarras de fortune, qui servirent, autant que leurs réflexions, à leur faire porter un autre jugement de leurs goûts et de leurs plaisirs. Comme ils avoient toujours été moins propres à donner le mouvement qu’à le suivre, ils prirent enfin l’avis de leur ami M Belford, qui leur conseilla de convertir le reste de leur bien en rentes viagères, et de se retirer, l’un dans Yorckshire, et l’autre dans Nottinghamshire, qui sont les lieux de leur naissance. Leur ami, continuant de s’intéresser à leur situation par ses lettres, et de les voir à Londres une fois ou deux l’année, c’est-à-dire, chaque fois qu’ils y viennent, a la satisfaction de les trouver, de jour en jour, plus dignes de leur nom et de leur origine.

Madame Norton a passé le reste de ses jours aussi heureusement qu’elle pouvait le désirer, dans la terre de sa chère élève : bonheur, on le répète, tel qu’elle pouvait le désirer ; car elle aspirait trop ardemment aux biens d’un autre état, pour être fort attachée à la petite fortune dont elle jouissoit. Elle employait la meilleure partie de son temps à répandre ses bienfaits autour d’elle ; et le reste, au soin du fonds qui lui avait été confié. Après avoir mené une vie exemplaire, et vu son fils heureusement établi, elle est morte depuis peu, dans le sein de la paix, sans douleur, sans agonie, comme un voyageur fatigué, qui s’endort d’un sommeil doux et tranquille. Ses dernières expressions n’ont respiré que le désir et l’espérance de rejoindre la fille de son coeur, sa tendre et généreuse bienfaictrice. Miss Howe ne put consentir à quitter le deuil de sa chère amie que six mois après sa mort ; et ce fut à la fin de ce terme, qu’elle rendit M Hickman un des plus heureux hommes du monde. Ils ont déjà deux aimables fruits de leur mariage, dont le premier est une fille charmante, à laquelle ils ont donné de concert le nom de Clarisse. Madame Hickman dit quelquefois à son mari, avec autant d’agrément que de générosité, qu’elle ne doit pas tout-à-fait oublier d’avoir été Miss Howe, parce que, s’il ne l’avait pas aimée sous ce nom avec tous ses foibles, elle ne serait jamais devenue Madame Hickman. Cependant elle confesse sérieusement, dans toutes les occasions, qu’elle n’a pas moins d’obligation à M Hickman pour sa patience lorsqu’elle étoit maîtresse d’elle-même, que pour sa généreuse conduite depuis qu’il règne à son tour. Sa tendresse et son estime semblent augmenter pour lui, lorsqu’elle se rappelle combien il étoit affectionné à sa chère amie, et quelle part il avait aussi à l’affection de Miss Harlove. Elle ne trouve pas moins de douceur à voir cet honnête homme toujours prêt à se joindre avec elle dans ces tendres et respectueuses peintures du passé, qui rendent la mémoire des morts si précieuse à ceux qui leur survivent. M Belford n’est pas assez dépourvu de tendresse et d’humanité, pour n’avoir pas été vivement touché du malheureux sort de son meilleur ami. Mais lorsqu’il fait réflexion à la fin prématurée de plusieurs de ses associés ; aux terreurs et à la mort de M Belton ; au cours signalé de la justice du ciel, qui est tombée sur le misérable Tomlinson ; à l’horrible catastrophe de l’infame Sinclair ; aux profonds remords de l’homme qu’il aimait le plus ; et, d’un autre côté, à l’exemple qu’il a reçu de la plus excellente personne de son sexe, à ses préparatifs pour le dernier passage,