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Madame Harlove ne survécut que deux ans et demi à la mort de son excellente fille. M Harlove la suivit au tombeau, environ six mois après ; ils moururent tous deux avec le nom de leur bienheureuse fille à la bouche. Ils ne l’avoient pas nommée autrement depuis qu’ils avoient reçu ses dépouilles mortelles ; et, loin de regretter le monde, ils marquèrent de l’empressement pour la rejoindre dans une meilleure vie. Cependant ils vécurent assez pour voir leur fils James et leur fille Arabelle mariés : mais ils ne trouvèrent pas une grande source de joie dans l’établissement de l’un et de l’autre.

M James Harlove épousa une fille de bonne maison, avec laquelle il vit encore. C’était une orpheline dont le bien était considérable ; et cette raison lui avait fait jeter les yeux sur elle. Mais il s’est vu obligé à d’extrêmes dépenses pour soutenir ses droits, qui ne sont point encore éclaircis. Ses parties sont puissantes ; il est question d’un titre fort litigieux, et M Harlove n’a pas reçu en partage toute la patience nécessaire pour conduire un long procès. Ce qu’il y a de plus remarquable dans sa situation, c’est que ce mariage est venu purement de lui, contre le sentiment de son père, de sa mère et de ses oncles, qui l’avoient averti des embarras auxquels il s’exposoit. Sa conduite à l’égard de sa femme qui n’est coupable de rien, et qui ne peut empêcher un mal dont elle souffre autant que lui, est devenue entre eux l’occasion de plusieurs différens qui ne lui promettent pas un heureux avenir, quand ses affaires se termineraient plus favorablement qu’il n’a lieu de l’espérer. Lorsqu’il s’ouvre à ses amis, qui sont en petit nombre, il attribue toutes ses disgrâces au cruel traitement qu’il a fait à sa soeur. Il avoue qu’elles sont justes ; mais la force lui manque pour se soumettre à des dispositions dont il connaît la justice. Tous les ans, il reprend le deuil au 6 de septembre ; et pendant le mois entier, il se dérobe à toutes sortes d’amusemens et de compagnies. En un mot, il passe dans le monde, et lui-même se regarde comme le plus misérable de tous les êtres.

La fortune de Miss Arabelle Harlove ayant tenté un homme de qualité, l’éclat du titre la disposa facilement à recevoir ses soins. Le mariage suivit bientôt. Mais les frères et les soeurs qui ne sont pas portés à s’aimer, deviennent ordinairement de mortels ennemis.

M Harlove jugea que, dans les articles, on avait trop fait pour sa soeur. Elle crut, au contraire, qu’on n’avait pas fait assez ; et, depuis quelques années, ils se haïssent de si bonne foi, que l’un n’a de vraie satisfaction qu’en apprenant quelque infortune ou quelque chagrin de l’autre. Il est vrai qu’avant cette rupture ouverte, ils ne cessaient pas de se soulager mutuellement par de continuels reproches, qui ne servaient pas peu à l’entretien du trouble dans toute la famille ; et qu’à chaque instant l’un accusait l’autre d’avoir été la principale cause du désastre de leur admirable soeur. On souhaite que certains bruits qui font mal augurer du bonheur de cette dame dans l’intérieur de sa maison, soient tout-à-fait mal fondés, particulièrement ceux qui feraient supposer qu’elle ne se loue pas des moeurs de son mari, quoique d’abord elle n’ait pas trouvé cette objection insurmontable, et qui font même entendre qu’elle en est traitée avec beaucoup de hauteur et de mépris. Quel serait le cœur assez dur pour lui souhaiter autant de chagrin qu’elle s’est efforcée d’en causer à sa soeur, sur-tout lorsqu’elle regrette sa cruauté, et qu’elle paraît disposée, comme son frère, à lui attribuer ses propres infortunes ? M Jules et M Antonin Harlove continuent de vivre dans leurs terres ;