eu sur lui, jusqu’à présent, toute la force que je pouvais désirer.
Il est parti peu de jours après vous. En me faisant ses adieux, il m’a dit que son dessein était de se rendre à Florence, et qu’après y avoir fini ses affaires, il se proposait de revenir à Londres, pour y passer le reste de ses jours. Je craignais, à la vérité, que si vous veniez tous deux à vous rencontrer, il n’arrivât quelque nouveau malheur ; et sachant de vous-même que vous deviez retourner en France par l’Italie, et vraisemblablement par Florence, j’ai fait mes efforts pour vous engager à mettre l’Espagne dans votre plan. Je le souhaite encore ; ou, si je ne puis l’obtenir de vous, je vous conjure d’éviter Florence et Livourne, deux lieux que vous avez déjà visités. Que jamais du moins l’appel ne vienne de vous. Quel sujet de réflexions pour moi, si le délateur, ce vil Joseph Léman, qui vous a donné l’occasion de tourner l’artillerie de ses maîtres contre eux-mêmes, et de les jouer l’un par l’autre, pour conduire vos artifices avec plus de succès, devenait, sans le vouloir, un instrument entre les mains de la providence, pour les venger tous ! En supposant la victoire de votre côté, serait-elle la fin du désastre ? Elle ne ferait qu’augmenter vos remords, puisque votre rencontre ne peut se terminer que par la mort de l’un ou de l’autre ; car je suis sûr que le colonel ne recevrait pas la vie de votre main. Ajoutez, que les Harlove armeraient contre vous l’autorité des loix. Vous les haïssez ; ils gagneraient par la mort du colonel ; ils se réjouiraient de la vôtre : et n’est-ce donc point assez de tout le mal que vous avez déjà causé ?
Lovelace ! Cher ami ! Donnez-moi la satisfaction d’apprendre que vous êtes résolu d’éviter M Morden. Le temps calmera tous les esprits. Personne ne doute de votre courage, et jamais on ne saura que votre plan ait été changé par persuasion. Le jeune Harlove parle de vous demander raison ; c’est une preuve assez claire que M Morden n’a pas pris sur lui la querelle de la famille. Je ne crains que lui. Je sais que ce n’est pas le moyen de faire impression sur vous, que de vanter son courage et son adresse ; on assure néanmoins que son épée est redoutable, et qu’il s’en sert avec autant de sang froid que d’habileté. Si je faisais cas de la vie, il serait de tous les hommes, à l’exception de vous, celui que j’aimerais le moins pour adversaire.
Mes explications sont d’aussi bonne foi que vous l’avez désiré. Je ne vous déguise rien. Si vous ne cherchez pas le colonel, je suis persuadé qu’il ne vous cherchera point. C’est un homme rempli de principes. Mais si vous le cherchez, je ne crois pas qu’il vous évite. Souffrez, Lovelace, que, par le mouvement d’une véritable amitié, je vous représente encore que vous devez vous sentir coupable dans cette affaire, et qu’il ne vous convient point d’être l’agresseur. Quelle pitié qu’un aussi galant homme que le colonel pérît par vos mains ! D’un autre côté, il serait terrible que vous fussiez appelé en compte sans aucune préparation, et dans la chaleur d’une nouvelle violence. Malheureux ami ! Ne vois-tu pas, dans la mort de tes deux principaux agens, les caractères tracés contre toi sur le mur ?
Mon zèle, dans cette occasion, peut me jeter dans un excès de franchise. Il me rend coupable au moins d’un grand nombre de répétitions ; mais j’ai peine, en vérité, à quitter un sujet dont je suis si touché. Cependant, si ce que je viens d’écrire, joint au mouvement de votre propre cœur et sans doute à vos remords, n’a pas l’effet que j’ose encore espérer, tout ce que je pourrais ajouter serait inutile. Adieu donc, Lovelace. Puisse ton coeur s’ouvrir au regret du passé ! Puissent tes mains se garantir d’une nouvelle violence, qui augmenterait le poids de tes réflexions, et qui te ravirait peut-être tes espérances pour l’avenir ! C’est le souhait de ton véritable ami,
Belford.
M Lovelace à M Belford.
à Munich, 22 novembre.
Votre lettre arrive au moment que j’allais partir pour Vienne. Pour ce qui regarde le voyage de Madrid, ou le moindre pas hors de ma route, dans la vue d’éviter le colonel Morden, que je périsse si je le fais ! Tu ne peux me croire l’ame si basse.
Ainsi donc tu avoues qu’il m’a menacé ; mais non pas, dis-tu, dans des termes grossiers, indignes par conséquent d’un galant homme. S’il m’a menacé noblement, mon ressentiment sera