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causent beaucoup de joie à toute la famille, parce qu’on s’attend que, tôt ou tard, je reviendrai avec quelque membre de moins ".

Telle est la substance de cette lettre. Mowbray m’avait déjà lâché quelques mots dans une des siennes ; et je me rappelle que, dans le dernier souper que nous avons fait ensemble, tu me pressas, jusqu’à l’importunité, de faire le voyage d’Espagne, plutôt que celui de France ou d’Italie.

Ce que j’exige de toi, Belford, et par le premier ordinaire, c’est de m’apprendre fidèlement tout ce que tu sais là-dessus. Il m’est impossible de souffrir des menaces ; et quand je serai bien instruit, nul homme ne se donnera, dans mon absence, les airs de m’avilir, sans que je lui en explique mon sentiment. Mes amis en seraient inquiets ; ils seraient portés à souhaiter de me voir changer de route ou de plan, pour l’éviter. Crois-tu qu’à ces viles conditions je fusse capable de supporter la vie ? Mais, si tel est son dessein, pourquoi ne me l’a-t-il pas fait connaître avant que j’eusse quitté l’Angleterre ? Avoit-il besoin que je fusse hors du royaume, pour s’affermir dans sa résolution ?

Aussi-tôt que je saurai dans quel lieu mes lettres lui peuvent être adressées, je ne manquerai pas de lui écrire, pour m’assurer de ses intentions. Le délai me gêne, dans un cas de cette nature. Fût-il question du mariage ou de l’échafaud, ce qui doit se faire demain me paroît mieux aujourd’hui. Je languis, je meurs d’impatience, en ruminant des scènes qui ne peuvent m’offrir ni variété ni certitude. Passer vingt jours dans l’attente d’un événement qui peut être décidé dans un quart-d’heure, c’est un supplice.

Si le colonel prend la peine de venir à Paris, il lui sera facile de trouver mon logement. Je vois chaque jour quelques anglais ; je suis souvent aux spectacles ; je parais à la cour et dans tous les lieux publics. à mon départ, je laisserai mon adresse dans plusieurs villes, où mes lettres d’Angleterre me seront envoyées. Mais si j’étais bien sûr de tout ce que Léman m’écrit, je perdrais l’idée de quitter la France, ou, dans quelque lieu que soit celui qui me cherche, je ne partirais que pour abréger sa course.

Mon unique regret tombe sur cette chère Clarisse. S’il est décidé que nous en venions aux mains, M Morden et moi, comme il ne m’a fait aucune injure, et qu’il chérit la mémoire de sa cousine, nous engagerons le combat avec les mêmes sentimens pour l’objet de notre querelle ; et tu conviendras que le cas est singulier. En un mot, j’ai tort ; j’en suis aussi convaincu que lui, et je ne le regrette pas moins : mais je ne souffrirai jamais les menaces d’aucun mortel, quelque blâme que je me reproche d’avoir mérité. Adieu, Belford. Parle de bonne foi ; point de déguisement, si tu fais cas de ton ami,

Lovelace.



M Belford à M Lovelace.

à Londres, 27 octobre.

Je ne saurais croire, mon cher Lovelace, que le colonel Morden vous ait menacé dans des termes aussi grossiers que le misérable Léman vous l’écrit, ni qu’il pense à vous chercher. Un tel langage se sent du caractère de l’écrivain, et ne peut être celui d’un galant homme. Il n’est pas de M Morden, j’en suis sûr. Observez que Léman ne vous dit point qu’il l’ait entendu lui-même.

Je n’ai pas attendu si tard à sonder le colonel, non seulement pour votre intérêt et pour le sien, mais encore par le respect que je dois aux derniers ordres de son excellente cousine. Il est vivement touché, et vous ne devez pas en être surpris. Il avoue qu’à cette occasion son ressentiment s’est exprimé avec chaleur. Il m’a dit un jour, que si le cas de sa cousine étoit une séduction commune, il se croyait capable de vous pardonner. Mais il ne m’a pas assuré moins formellement qu’il n’avait pris aucune résolution, et qu’il ne lui était rien échappé dans la famille, qui pût l’obliger à la vengeance. Au contraire, il m’a confessé que les volontés de sa cousine avoient