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c’est de lui faire éviter la rencontre du colonel Morden ; je serais au désespoir qu’il arrivât quelque chose entre eux. Vous m’avez donné avis que le colonel laisse échapper des menaces ; mon neveu ne les souffrirait pas ; il faut bien se garder de l’en instruire. Mais je me flatte qu’il n’y a rien à craindre, parce qu’on m’assure, d’un autre côté, que le colonel a cessé de menacer. C’est pour son propre intérêt que je m’en réjouis ; car, au jugement de tout le monde, il n’y a personne qui égale mon neveu à toutes sortes d’armes. J’aimerais autant qu’il fût moins brave ; il en serait moins entreprenant.

Nous nous appercevrons bientôt ici que ce jeune fou nous manque : il est certain que personne n’est de meilleure compagnie, quand il le veut. Mais ne vous arrive-t-il jamais de faire un voyage de trente ou quarante milles ? Je serais charmé de vous voir au château de M. Ce serait une charité, après le départ de mon neveu ; car nous supposons que vous serez son principal correspondant. Il a promis néanmoins d’écrire souvent à mes nièces ; mais il oublie facilement ses promesses, sur-tout celles qu’il fait à ses parens. Que le ciel nous bénisse tous !

M.


M Lovelace à M Belford.

à Paris, 28 octobre.

Ne sois pas surpris que cette lettre suive de si près ma dernière. J’en reçois une de Joseph Leman. Ce pauvre diable est troublé par sa conscience, Belford ; il m’assure " qu’il ne dort ni nuit ni jour, du regret qui le tourmente, et de la crainte d’avoir contribué à de grands malheurs, sans compter, dit-il, ceux qu’il prévait encore. Il souhaiterait, s’il plaisait à Dieu et à moi, de n’avoir jamais eu l’honneur de me connaître ". Et d’où viennent ses inquiétudes pour lui-même ? D’où viendraient-elles, si ce n’est " des marques de mépris qu’il reçoit continuellement de tous les Harlove, sur-tout de ceux qu’il s’est efforcé de servir aussi fidèlement que ses engagemens avec moi le permettaient ? Je lui avais toujours fait croire, pauvre misérable qu’il est depuis le berceau ! Qu’en me servant, il aurait le bonheur, à la fin, d’avoir rendu service aux deux parties. Mais le mépris qu’on lui marque, et la mort de sa chère jeune maîtresse, sont deux sujets de douleur qui ne l’abandonneront jamais, dût-il vivre aussi long-temps que Mathusalem ; quoiqu’il ne se promette pas plus d’un mois de vie, changé comme il est ! Avec un estomac qui ne digère plus rien, et Madame Betty le faisant enrager du matin au soir, à présent qu’elle le tient et qu’elle maîtresse d’une bonne hôtellerie. Mais, grâces au ciel, pour sa punition elle n’est guère en meilleure santé que lui. Au reste, son principal motif, pour se donner l’honneur de m’importuner par une lettre, n’est pas son seul chagrin, quoique plus grand qu’il n’ose prendre la liberté de me le dire ; c’est le désir de prévenir un malheur dont je suis menacé moi-même : car il peut m’assurer que le colonel Morden est parti dans la résolution de ne pas m’épargner, et qu’il a juré, assez haut pour être entendu des domestiques, qu’il aurait ma vie ou moi la sienne, avec d’autres promesses de cette nature, qui