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à l’avenir. J’avoue que, jusqu’alors, les argumens de ma cousine sont sans réplique. à l’égard des vôtres, je me flatte, monsieur, que vous ne ferez pas difficulté de me croire, lorsque je vous assure que votre avis et vos raisonnemens ne cesseront jamais d’avoir sur mon esprit tout le poids qu’ils méritent, et que cette considération augmente, s’il est possible, par les instances que vous me faites en faveur de l’objet des pieuses intentions de ma cousine. Elles sont très-considérables de votre part, monsieur, non seulement en qualité d’exécuteur, qui représente celle dont il explique les volontés, mais encore à titre d’homme rempli d’humanité, qui fait des vœux pour l’avantage des deux parties.

Je ne suis pas plus exempt de violentes passions que votre ami ; mais je ne les crois capables d’être soulevées que par l’insolence d’autrui, et jamais par ma propre arrogance. S’il peut arriver que mes ressentimens m’engagent dans quelque démarche contraire à mon jugement et aux dernières intentions de ma cousine, ce sera quelqu’une des réflexions suivantes qui emportera ma raison : je vous assure qu’elles me sont toujours présentes.

En premier lieu, le renversement de mes propres espérances, moi qui étais revenu avec celle de passer le reste de mes jours dans la société d’une si chère parente, à qui j’appartenais par un double lien, en qualité de cousin et de curateur.

" ensuite je considère, et trop souvent peut-être pour l’engagement que j’ai pris à sa dernière heure, que cette chère personne n’a pu pardonner que pour elle-même. Elle est sans doute heureuse ; mais qui pardonnera pour une famille entière, dont le malheur ne peut finir qu’avec la vie de tous ceux qui la composent ?

Que plus les parens de Miss Clarisse ont eu pour elle d’injustice et de rigueur, plus l’ingratitude est énorme, plus elle est odieuse de la part de celui qui s’en est rendu coupable. Quoi ! Monsieur, n’est-ce pas assez qu’elle eût souffert pour lui ? étoit-ce à ce barbare à la punir de ses souffrances ? Le ressentiment affoiblit ici mes expressions ; c’est quelquefois un de ses effets, lorsque la grandeur de l’offense saisit l’ame et l’irrite excessivement à la première vue. Donnez vous-même, monsieur, toute sa force à cette réflexion.

Que l’auteur du crime l’a commis avec préméditation. Il s’en est fait un amusement dans la gaieté de son cœur. Pour éprouver, dites-vous, monsieur, la vertu de ma cousine ! Pour mettre une Clarisse à l’épreuve !… avait-il donc sujet de douter de sa vertu ? La supposition est impossible. S’il la prouve, c’est une autre raison de m’en ressentir ; mais alors je promets de la patience.

Qu’il l’a menée, comme je l’apprends enfin, dans une maison d’infamie, pour l’éloigner de toute ressource humaine, pour fermer l’accès de son propre cœur à tout remords humain ; et là, que, désespérant de réussir par les ruses et les impostures communes, il a mis en usage des méthodes indignes de l’humanité, pour arriver à ses détestables fins.

Que je ne pouvais être informé du fond de l’attentat, lorsque j’ai vu le coupable au château de M ; que, justement rempli du mérite de ma cousine, je ne pouvais supposer qu’il existât sur la terre un monstre tel que lui ; qu’il me paroissait naturel d’attribuer le refus qu’elle faisait de sa main, à quelque ressentiment passager, au reproche intérieur de sa propre foiblesse, à quelque défiance de la sincérité des offres, plutôt qu’à d’horribles bassesses qui lui avoient porté le coup mortel, et qui l’avoient déjà