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qui s’engagent dans un combat mortel, ni l’un ni l’autre n’a dessein d’accorder à son ennemi ce hasard de repentir et de confiance à la miséricorde du ciel, que chacun a la présomption d’espérer pour soi-même. Gardez-vous donc, monsieur, je vous en conjure, d’aggraver ma faute par une sanglante entreprise, qui en serait nécessairement l’effet. En supposant la victoire déclarée pour vous, ne donnez point à un malheureux le mérite de périr par vos mains. Il est à présent le perfide, l’ingrat qui m’a trompée ; mais la perte de sa vie, et probablement celle de son ame, ne serait-elle pas une horrible expiation pour un malheur de quelques mois dans lequel il m’a jetée, et qui n’a servi, par la faveur divine, que de voie pour me conduire à des biens éternels ? Dans ce cas, monsieur, où s’arrêterait donc le mal ? Qui le vengerait de vous ? Et qui vous vengerait de son vengeur ?

Laissez, laissez ma vengeance à son propre coeur ; tôt ou tard elle est sûre, et peut-être trop rigoureuse dans ses remords. Laissez-lui le hasard du repentir. Si le tout-puissant lui daigne accorder cette faveur, de quel droit la lui refuseriez-vous ? Qu’il soit encore le coupable agresseur. Qu’on ne dise jamais : Clarisse Harlove est vengée par la mort d’un traître ; ou si c’était la vôtre dont elle fût devenue l’occasion, ne dirait-on pas que sa faute, au lieu d’être ensevelie dans son tombeau, s’est perpétuée, s’est aggravée par un malheur beaucoup plus grand que sa perte ?

On a vu souvent, monsieur, la victoire du côté des coupables. Je me souviens d’avoir lu qu’un comte de Shrewsbury, sous le règne de Charles Ii, ayant entrepris de se venger du plus grand outrage qu’un homme puisse recevoir d’un autre, trouva la mort à Barnelms, par la main du vil duc qui l’avait déshonoré. Croyez-vous que le ciel pût être accusé d’injustice, quand il arriverait toujours que l’usurpateur du droit divin fût puni de sa présomption par l’ennemi qu’il cherche à détruire, et qui, tout criminel qu’on le suppose, se trouve alors dans la nécessité d’une juste défense ? Que le ciel, monsieur, vous protège dans tous les instans de votre vie ! Je l’en conjure encore une fois. Que ses bontés pour vous m’acquittent de toutes les vôtres ! Devenez le consolateur de mes chers parens, comme vous avez été le mien, et puissions-nous un jour nous rejoindre dans cet heureux état dont j’ai l’humble espérance de jouir lorsque vous lirez ma lettre ! Tels seront jusqu’au dernier soupir, mon cher cousin, mon ami, mon gardien, mais non pas mon vengeur, les vœux de

Cl Harlove.



M Morden à M Belford.

samedi, 23 septembre.

Je suis bien fâché, mon cher monsieur, qu’il me soit échappé quelque chose dont vous ayez pu concevoir de l’inquiétude. Pour moi, les lettres que vous m’avez communiquées m’ont causé beaucoup de satisfaction ; et tout ce qui a rapport à ma chère cousine ne m’en causera jamais moins. J’attends impatiemment les récits que vous me promettez. Ne craignez point qu’ils me fassent prendre aucunes mesures sur lesquelles j’eusse balancé sans cette communication. Le cas, monsieur, est d’une nature qui ne peut recevoir d’aggravation.

Cependant je vous assure que je n’ai pris aucune résolution que je puisse regarder comme un lien. Il est vrai je me suis exprimé avec chaleur sur le fond de cette affaire : qui n’aurait pas fait de même ? Mais je ne suis pas dans l’usage de me déterminer sur des points d’importance, avant que d’avoir l’occasion d’exécuter mes projets. Nous verrons par quel esprit ce jeune homme se laissera gouverner, lorsque sa santé sera bien rétablie ; s’il continue de braver une famille qu’il a mortellement outragée ; s’il… mais les résolutions dépendant, comme j’ai dit, de plusieurs circonstances qui sont encore douteuses, appartiennent