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avait part à la cause ; elle a tout pardonné : pourquoi ne pas imiter ce que nous admirons ?

Vous me demandiez un jour, s’il était possible qu’un homme de courage fût capable d’une bassesse préméditée. En général, je crois que le courage et la bassesse sont des qualités incompatibles. Mais, dans l’exemple présent, le caractère de M Lovelace prouve la vérité de cette observation commune, que toute règle a ses exceptions. Je lui dois ce témoignage, qu’il n’y a point de mortel plus brave, ni plus habile, et qui se possède mieux dans l’exercice des armes. Ma pensée n’est point que cet éloge puisse faire impression sur le colonel Morden. Je sais que, s’il n’est pas arrêté par des motifs supérieurs, autant que par ceux que je prends la liberté de lui rappeler, il me répondra que cette bravoure et cette habileté ne font qu’un adversaire plus digne de lui. C’est donc à ces grands motifs que je me réduis, avec d’autant plus de confiance, qu’une poursuite sanglante ne paraîtrait pas justifiée aujourd’hui par la première chaleur du ressentiment, et qu’après un mal irréparable, elle passerait au contraire pour une vengeance froide et délibérée, dont un galant homme ne sera jamais capable. Pardonnez, monsieur, des instances si libres, à ma qualité d’exécuteur testamentaire, à mes promesses formelles, au souvenir que je conserve des dernières volontés d’une personne qui me sera toujours chère et respectable ; souvenir fortifié par un article exprès du testament et par des lettres posthumes. Ardens comme nous le sommes tous deux pour l’exécution de ses précieux ordres, souvenons-nous qu’elle nous aurait dispensés plus volontiers de tous les autres, que de celui qui me donne occasion de vous assurer, monsieur, du parfait dévouement avec lequel je suis votre, etc.

Belford.



à M Morden, pour lui être remis après sa mort.

mon cher cousin,

comme l’état de ma santé me fait douter si je serai en état de recevoir la visite que vous me promettez en arrivant à Londres, je me détermine à faire usage des forces qui me restent, pour vous remercier, avec les plus tendres sentimens, de toutes les bontés que vous avez eues pour moi depuis mon enfance, et plus particuliérement de celle qui vous fait employer, en ma faveur, votre obligeante médiation. Que le ciel, monsieur, vous rende à jamais tout le bien que vous vous efforcez de me faire obtenir !

Une de mes principales vues dans cette lettre, est de vous supplier, comme je le fais avec l’ardeur la plus pressante, de ne pas souffrir, lorsque vous apprendrez les circonstances de mon histoire, que votre généreux coeur s’ouvre à des ressentimens actifs, et qu’il croye me devoir d’autres mouvemens que ceux de la pitié. Souvenez-vous, mon cher cousin, que Dieu s’est réservé la vengeance. J’espère que vous n’entreprendrez point d’usurper ses droits, sur-tout lorsque rien ne vous oblige de purger ma réputation, depuis que l’offenseur même s’est volontairement offert à me rendre toute la justice que vous auriez pu lui arracher, si j’avais vécu ; et lorsque votre vie serait exposée, dans le risque égal qu’il faudrait courir avec un coupable.

Le duel, monsieur, qui le sait mieux que vous ? Est non seulement une usurpation des droits divins, mais une insulte contre la magistrature et contre les loix d’un sage gouvernement. C’est un acte impie ; c’est l’entreprise d’arracher une vie qui ne doit pas dépendre du glaive privé ; un acte dont la conséquence immédiate est de précipiter dans l’abîme sans fin une ame toute souillée de ses crimes, et de mettre dans le même danger celle du misérable vainqueur, puisque de deux hommes