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M Belford à M Morden.

jeudi, 21 septembre.

Permettez, monsieur, que je m’explique ouvertement sur un point dont mille raisons me font un devoir si sacré, que rien ne peut et ne doit m’en dispenser.

J’ai promis à la divine personne que nous pleurons, d’employer tous mes efforts pour prévenir un nouveau malheur, dont la crainte a paru l’occuper jusqu’au dernier moment de sa vie. Je ne me bornerai donc pas à vous en parler dans des termes obscurs. C’est avec une extrême inquiétude que je viens d’apprendre une déclaration, par laquelle on m’assure que vous avez terminé vos adieux au château d’Harlove, en vous disposant à retourner en Italie. Vous avez dit hautement que vous renonciez au repos jusqu’au jour où vous auriez vengé votre cousine.

Je ne pense point à défendre un coupable ami, ni même à vous apporter de vaines excuses pour exténuer son crime. Cependant je dois vous rappeler que la famille, par ses persécutions dans l’origine, et par l’inflexible dureté qui les a suivies, partage au moins le blâme. Il y a même assez d’apparence qu’une personne aussi vertueuse que Miss Harlove, n’ayant rien à se reprocher, et trouvant dans son cœur le témoignage de son innocence, aurait passé sur une injure personnelle, surtout, lorsqu’elle voyait M Lovelace disposé à la réparer, et que les instances d’une illustre famille semblaient faire tourner l’offense à sa gloire. La première fois, monsieur, que j’aurai l’honneur de vous voir, je vous informerai de toutes les circonstances de cette fatale histoire ; et vous verrez que M Lovelace avait d’abord été fort maltraité par toute la famille, sans autre exception que la divine Clarisse. Cette exception, je le sais, augmente beaucoup son crime ; mais comme il ne se proposait, dans ses caprices, que d’éprouver la vertu d’une femme qu’il aimait d’ailleurs jusqu’à l’adoration, et que non seulement ses instances ont été si humbles et si pressantes pour obtenir sa main, mais que son désespoir, en perdant le pouvoir de réparer le mal, est allé jusqu’à la perte de sa raison, il me semble, monsieur, qu’il y a beaucoup d’objections à faire contre une résolution telle qu’on vous l’attribue. Je vous lirai en même temps quelques endroits de ses propres lettres, dont plusieurs ne peuvent manquer de vous convaincre que ce malheureux homme, revenu depuis peu à la raison, n’a pas besoin d’autre châtiment que ses propres réflexions. J’ai relu, à ce moment, les copies des lettres posthumes. Je vous les envoie toutes, à la réserve de celle qui étoit pour lui, et que je me réserve à vous communiquer dans notre premier entretien. De grâce, relisez celle qui vous était adressée, et celle qui était pour M James Harlove. Je vous les remets sous les yeux, parce qu’elles regardent particuliérement le sujet qui me porte à vous écrire ; elles me paroissent sans réplique. L’impression du moins qu’elles font sur moi est assez forte, pour me faire promettre au ciel de ne jamais tirer l’épée dans une querelle particulière. Permettez-moi d’ajouter que M Lovelace n’a pas donné de nouveau sujet d’offense depuis la visite que vous avez rendue à Milord M ; c’est-à-dire, monsieur, depuis un tems où vous avez été si convaincu vous-même de la sincérité de ses intentions, que vous avez sollicité votre chère cousine à lui pardonner.

J’ajoute, monsieur, j’ajoute encore (quoiqu’il n’en soit pas besoin sans doute, lorsque vous y penserez de sang froid) la promesse que vous avez faite à votre cousine mourante ; une promesse qui, dans la confiance dont elle était remplie pour vous, a servi, vous le savez, à rendre ses derniers momens plus tranquilles.

Cher colonel ! L’outrage la regardait sans doute. Sa famille entière