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dans l’affection de sa maîtresse ; de se plaindre souvent du malheur qu’elle a de ne savoir ni lire ni écrire ; de montrer à Clarisse des lettres supposées, et de lui demander conseil sur la manière d’y répondre ; d’avoir sans cesse une plume à la main, sous prétexte d’apprendre à s’en servir ; dans la crainte qu’après avoir écrit réellement, elle ne se trahisse par quelque trace d’encre qui pourrait demeurer au bout de ses doigts. Il l’a pourvue de deux tablettes et d’une plume d’argent, pour s’en servir à dresser un mémoire dans l’occasion. Sa belle, dit-il, s’est déjà laissé persuader par Madame Sinclair, de tirer ses habits de la malle, pour les mettre dans une grande armoire d’ébène, où ils peuvent être de toute leur longueur, et qui a des tiroirs aussi pour son linge. " c’est le magasin qui contient ordinairement les nipes les plus riches, qu’on prête aux nymphes de la maison, lorsqu’elles doivent paroître avec un peu d’éclat, pour mettre dans leurs filets quelque sot opulent. Notre veuve, comme tu sais, fait quelquefois des comtesses ; mais c’est pour ceux qui sont en état de proportionner le prix au titre et à la parure. On a confié à Dorcas un passe-partout, avec ordre, lorsqu’elle cherchera les lettres, d’observer soigneusement la situation de chaque chose, et de remettre jusqu’au moindre fil à la même place. La Martin et la Horton se sont chargées de transcrire. Elles iront par degrés. Avec une personne si pénétrante, il faut de la lenteur et de la certitude dans tous les mouvemens. Il n’est pas vraisemblable que si jeune, avec si peu d’expérience, toutes ses précautions puissent venir d’elle-même. La conduite des femmes de la maison est sans reproche. Il ne se fait aucune partie d’éclat. On n’introduit personne dans le bâtiment de derrière. Tout est tranquille. Les nymphes ont de l’éducation et de la lecture. La vieille a cessé de paraître si dégoûtante. Ce ne peut être que Miss Howe qui rend mes progrès si difficiles. Elle se souvient de l’avoir échappé belle avec un homme de notre espèce, l’honnête sir Georges Colmar, comme tu l’as entendu dire. Tu vois, Belford, que rien n’est oublié dans mes précautions. On ne s’imaginerait pas, suivant le poëte, de combien de légers ressorts dépend la gloire d’un homme . Jusqu’à présent les apparences promettent beaucoup. Je ne laisserai pas de repos à ma charmante, jusqu’à ce que j’aie découvert où elle met ses lettres, et qu’ensuite je l’aie engagée à sortir, pour prendre l’air avec moi, ou pour assister à quelque concert. Je t’ai communiqué quelques-unes de mes inventions. Dorcas, qui est attentive à tous les mouvemens de sa maîtresse, m’a donné quelques nouveaux exemples d’une précaution qui ne le cède guères à la mienne. Elle met un pain à cacheter sous sa cire ; elle le pique, avant que d’y appliquer son cachet. Il ne faut pas douter qu’on ne fasse la même chose aux lettres qu’elle reçoit. Jamais elle ne manque de les bien examiner avant que de les ouvrir. Je suis absolument résolu de parvenir au fond du mystère. Les obstacles augmentent ma curiosité. écrivant autant qu’elle fait, et presqu’à toutes les heures, il est étrange que nous n’ayons encore pu trouver un moment où elle cesse de s’observer. Tu conviendras qu’il ne manque rien à notre combat pour l’égalité. Ne me reproche donc pas que je m’efforce de prendre avantage de ses tendres années. La crédulité n’est pas son vice. Ne suis-je pas moi-même une jeune tête ? Pour la fortune, c’est de quoi il n’est pas question. Jamais