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Adieu, Belford. Je me prépare à te joindre : mais garde-toi, si tu fais cas de ma vie ou de la tienne, de me contredire sur tout ce qui touche ma Clarisse.

Mon humeur est tout-à-fait changée. Je ne sais plus badiner, sourire, faire le plaisant. Je suis devenu impatient, colère. Tout me blesse ; aussi n’a-t-on jamais été plus cruellement tourmenté par des impertinens.

J’ajoute, en chiffre, que je me sens dans une situation terrible. Ma cervelle est aussi bouillante qu’une chaudière sur une fournaise embrasée. De quoi donc est-il question ? Je m’en étonne. De ma vie, je ne me suis vu dans cette étrange agitation.

Au fond, Belford, je suis un exécrable mortel. Et lorsque je considère de quoi j’ai été capable à l’égard de cette femme angélique, dont j’ai détruit le repos, l’esprit, la beauté, l’honneur et la vie, je me condamne et me dévoue moi-même à l’éternelle vengeance. De quelle part puis-je attendre de la pitié ? Je crains de ne pouvoir te supporter toi-même, lorsque je vais te revoir. Tes insultantes réflexions, tes cruels reproches m’ont renversé l’esprit.

Mais on m’avertit que Milord est arrivé. Que le ciel le confonde, et ceux qui l’ont fait appeler ! ô Belford ! Je ne sais ce que j’écris.

Son cher cœur, une boucle de ses cheveux, garde-toi bien d’y manquer. N’est-elle pas à moi ? Hélas ! à qui serait-elle ? L’infortunée n’a ni père, ni mère, ni frère, ni sœur ! Elle n’a que moi… mais quoi ? Elle n’est plus !… je l’ai donc perdue ! Je l’ai perdue pour jamais ! Dieu ! Dieu ! Comment ne suis-je pas encore anéanti ?



M Belford à M Mowbray.

dimanche, 10 septembre, à 4 heures après-midi.

J’ai reçu votre lettre avec celle de notre malheureux ami. Je suis charmé que milord soit venu travailler à sa guérison. Comme il y a beaucoup d’apparence que cette frénésie durera peu, je souhaite ardemment qu’aussi-tôt qu’il sera rétabli, on puisse l’engager à passer dans les pays étrangers. M Morden, qui est inconsolable, a vu, dans le testament, que le cas n’est pas une séduction ordinaire. J’entrevais, par quelques mots échappés, qu’il se croit dégagé, par cette raison, de la parole qu’il a donnée à sa cousine mourante de ne pas chercher à venger sa mort.

Il faudra, mon cher Mowbray, lui donner sa santé pour motif de vos instances ; car si vous lui parlez de sa sûreté, non seulement il ne partira point, mais il cherchera le colonel. à l’égard de la boucle de cheveux, comme vous avez vu autrefois Miss Harlove, il vous sera aisé de le satisfaire, en lui donnant quelques cheveux de la même couleur, s’il s’obstine à demander cette consolation. Je continuerai de lui écrire, puisqu’il le souhaite, et je le ferai comme si je ne lui supposais aucun désordre dans l’esprit, c’est-à-dire, que mes réflexions ne seront pas plus ménagées, dans l’espérance qu’après sa guérison elles pourront pénétrer jusqu’à son cœur.

Comme je n’aurai pas toujours le temps de tirer une copie de mes lettres, et que plusieurs raisons me font souhaiter de les avoir sous mes yeux, j’exige absolument qu’elles me soient renvoyées lorsque je les demanderai. C’est une condition à laquelle M Lovelace a consenti, et qui s’est exécutée jusqu’à présent. Ta lettre, Mowbray, est une pièce inimitable. Tu es réellement une étrange créature. Mais souffre que je te conjure, toi et l’évaporé Tourville, par la fin du pauvre Belton, dont vous avez été témoins tous deux, par la frénésie de Lovelace et par sa cause, et par le terrible état de la misérable Sinclair, de penser sérieusement à changer de vie. Pour moi, quelque usage que vous fassiez de ces exemples, je suis déterminé à suivre l’avis que je donne, et j’en signe volontiers l’engagement.