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Après quelques momens de silence : encore une fois, mon cher cousin, a-t-elle dit au colonel, chargez-vous de mes derniers sentimens pour mon père et ma mère… pour ma sœur, pour mon frère, pour mes oncles… dites-leur, qu’en expirant je bénis toutes leurs bontés… toutes leurs rigueurs… heureuse, heureuse, d’avoir reçu ma punition dans cette vie !

La douce langueur de sa voix, et ses périodes interrompues remplissent encore mon oreille ; cette impression me sera présente toute ma vie. Elle a continué, par intervalles, d’adresser quelques mots au colonel, à moi, aux femmes même, qui n’ont pas cessé d’avoir les yeux attachés sur elle jusqu’au dernier moment. Une fois elle s’est doucement écriée : ô mort ! Où est ton aiguillon " ? Quatre mots que je me souviens d’avoir entendus aux funérailles de mon oncle et du pauvre Belton.

Une autre fois, elle a dit d’un ton paisible : " qu’il est heureux pour moi d’avoir senti l’affliction " ! C’est apparemment quelque passage de l’écriture.

Tandis que la douleur nous tenait comme ensevelis dans un profond silence, elle a tourné la tête vers moi : " dites, monsieur, dites à votre ami que je lui pardonne, et que je prie le ciel de lui pardonner. Apprenez lui que je meurs heureusement, et que je souhaite, pour son intérêt, que sa dernière heure ressemble à la mienne ".

Quelques momens après, elle a dit, d’une voix encore plus basse : ma vue se trouble ; je ne vous vois plus qu’au travers d’un nuage. N’est-ce pas la main de M Morden que je tiens ? En la lui pressant de la sienne. Où est celle de M Belford ? En tendant l’autre vers moi. Je lui ai donné aussi-tôt la mienne. Que le ciel, nous a-t-elle dit, vous comble tous deux de ses bénédictions, et rende votre mort aussi douce que la mienne. Vous verrez ma chère Miss Howe ; dites-lui que je fais les mêmes voeux pour elle, et qu’en échange du portrait que je lui ai rendu, j’emporte son image au fond du cœur. Apprenez, par mon exemple, a-t-elle ajouté avec beaucoup de peine à se faire entendre, comment tout finit ; et puissiez-vous… sa tête s’est appesantie sur son oreiller ; ses mains ont quitté les nôtres, et la pâleur de la mort s’est répandue sur son visage. Nous avons cru qu’elle venait d’expirer, et la douleur nous a fait pousser un cri : mais quelques signes de vie qu’elle a recommencé à donner, ont rappelé aussi-tôt notre attention. Ses yeux se sont ouverts encore une fois. Elle nous a regardés successivement, avec un petit mouvement de tête vers chaque personne de l’assemblée, qui nous a fait juger qu’elle nous distinguoit. Enfin, levant les mains à demi, et prononçant d’une voix confuse : ciel ! Reçois une ame qui n’aspire qu’à toi, elle a rendu le dernier soupir. Oh ! Lovelace !… mais il m’est impossible d’en écrire davantage.

Je reprends la plume, pour ajouter quelques lignes. Tandis qu’il lui restait de la chaleur, nous avons pressé sa main de nos lèvres. Quelle sérénité sur son visage ! Que de charmes au milieu des horreurs de la mort ! Le colonel et moi, nous sommes passés dans la chambre voisine, en nous regardant l’un l’autre, dans l’intention de parler : mais, pénétrés d’un même sentiment, et gouvernés par la même cause, chacun s’est assis de son côté, sans prononcer un seul mot. Le colonel soupirait, comme si son cœur eût été prêt à se fendre. Enfin, le visage et les mains levées, avec aussi peu d’attention à moi que s’il eût été seul dans la chambre : bonté du ciel ! S’est-il écrié, soutiens-moi. Est-ce là le sort du plus parfait