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eu le bonheur de vous voir plus tôt, ou de savoir que vous conservez un peu d’amitié pour moi, il ne me serait pas entré dans l’esprit de recourir à la générosité d’un étranger : mais, quoiqu’ami de M Lovelace, il est homme d’honneur, et plus propre à établir la paix qu’à la rompre. Contribuez-y vous-même, mon cher cousin ; et souvenez-vous que, tout cher que vous m’avez toujours été, rien ne vous autorise à venger des injures que je pardonne, lorsqu’il me reste des parens plus proches que M Morden : mais j’ai pris soin de vous expliquer là dessus mes idées et mes raisons, et j’en espère l’effet qu’elles doivent produire.

Je dois rendre justice à M Lovelace, a-t-il répliqué en s’essuyant les yeux ; il est pénétré du repentir de sa basse ingratitude, et disposé à toutes les réparations qui sont en son pouvoir. Il reconnait ses injustices et votre mérite. S’il avait balancé à s’expliquer, je n’aurais pu demeurer dans l’inaction, quoique vous ayez des parens plus proches que moi. Votre grand-père, ma chère cousine, ne vous a-t-il pas confiée à mes soins ? Me croirai-je intéressé à votre fortune, sans l’être à votre honneur ? Mais, puisque M Lovelace sent vivement son devoir, j’ai moins à dire, et vous pouvez être absolument tranquille sur ce point. Que de grâces, monsieur, que de grâces j’ai à vous rendre ! Tout est au point que je demandais à la bonté du ciel. Mais je me sens très-foible ; je suis fâchée de ne pouvoir soutenir plus long-temps… sa foiblesse ne lui permettant point d’achever, elle a penché la tête sur le sein de Madame Lovick. Nous sommes sortis, M Morden et moi, après avoir donné ordre qu’on vînt nous avertir chez un traiteur voisin, s’il arrivait quelque changement. Comme nous n’avions dîné ni l’un ni l’autre, nous nous sommes fait préparer un repas fort simple ; et pendant qu’on se disposait à nous servir, vous pouvez juger du sujet de notre entretien. Nous avions passé nous-mêmes chez le médecin, pour le prier de lui faire encore une visite, et de nous en rendre compte à son retour. Il ne s’est pas arrêté cinq minutes avec elle ; et nous ayant rejoints, il nous a dit qu’il doutait qu’elle fût demain en vie, et qu’elle souhaitait de voir immédiatement le colonel. On commençait à servir notre petit dîner ; ce qui n’a point empêché M Morden de partir sur le champ. Je n’ai pu toucher à rien ; et m’étant fait donner une plume et de l’encre, pour satisfaire votre impatience, je vous ai tracé à la hâte tout ce qui venait de se passer à mes yeux. Vous comprenez facilement que lorsque votre dernier courrier est arrivé, il ne m’a pas été possible de sortir pour écrire, ni d’en trouver l’occasion jusqu’à ce moment. Cependant le pauvre malheureux craignait de partir avec une réponse de bouche, qui consistait, comme il vous l’a rendu sans doute, à vous dire que le colonel était chez Smith, et que sa cousine s’affoiblissait à vue d’œil.

M Morden est lui-même fort indisposé : cependant il m’a déclaré qu’il ne s’éloignerait pas d’elle, tandis qu’il la verra dans une situation si douteuse, et que son dessein est de passer la nuit sur une chaise dans son antichambre. Mercredi 6, à 8 heures du matin.

Elle a donné ses ordres, avec beaucoup de présence d’esprit, sur la manière dont elle doit être placée dans son cercueil aussi-tôt que son corps sera tout-à-fait refroidi. à 9 heures du matin.

Le colonel m’a dit qu’il avait dépêché un de ses gens au château d’Harlove, pour y déclarer qu’on peut s’épargner la peine des débats au sujet de la réconciliation, parce qu’il y a beaucoup d’apparence que sa chère cousine ne sera plus au monde lorsque les délibérations seront finies.

Il est au désespoir, dit-il, d’être revenu en Angleterre, ou de n’être pas revenu plus tôt. S’il perd sa cousine, sa résolution est de retourner en Italie, pour s’établir à Florence ou à Livourne.

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