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sur le bras de Madame Lovick, retrouverai-je la force de l’aller recevoir dans l’antichambre.

Elle a fait un mouvement pour se lever : mais elle est retombée sur son fauteuil. Le colonel était dans la plus vive agitation derrière le paravent. Il s’est avancé deux fois, sans être aperçu de sa cousine ; mais la crainte de lui causer trop de surprise l’obligeait aussi-tôt de se retirer. J’ai marché vers lui, pour favoriser sa retraite. Partez-vous, M Belford ? M’a-t-elle dit. Seroit-ce M Morden qui vous fait appeler ? J’ai répondu que j’étais trompé si ce n’était lui. Elle a dit aux deux femmes : poussez le paravent aussi proche qu’il se peut de la fenêtre. Il faut que je prenne un peu sur moi pour recevoir ce cher cousin, car il m’aimait autrefois fort tendrement. Donnez-moi, je vous prie, quelques gouttes dans une cuillerée d’eau, pour soutenir mes esprits pendant cette entrevue ; ce sera vraisemblablement le dernier acte de ma vie. Le colonel, qui entendait jusqu’au moindre mot, s’est fait annoncer par son nom : et moi, feignant d’aller au devant de lui, je l’ai introduit sans affectation. Il a serré l’ange entre ses bras, en fléchissant un genou à ses pieds ; car, s’appuyant sur les deux bras de son fauteuil, elle a fait un effort inutile pour se lever. Excusez, cher cousin, lui a-t-elle dit, excusez si je ne puis me tenir debout… je ne m’attendais pas à la faveur que je reçois ; mais je suis ravie que vous me donniez l’occasion de vous remercier de vos généreuses bontés.

Ma chère, mon aimable cousine ! A-t-il répondu d’un ton passionné ; je ne me pardonnerai jamais d’avoir attendu si long-temps à vous voir : mais j’étais fort éloigné de vous croire si mal, et tous vos amis ne se l’imaginent pas non plus. S’ils le croyoient… s’ils le croyaient, a-t-elle répété en l’interrompant, peut-être aurais-je reçu plus de marques de leur compassion. Mais de grâce, monsieur, comment les avez-vous laissés ? êtes-vous réconcilié avec eux ? Si vous ne l’êtes pas encore, je vous conjure, par l’amitié que vous avez pour moi, de ne pas retarder la paix. Tous les différens d’une famille si chère augmentent mes fautes, puisqu’elles en sont la première cause.

J’espérais, a-t-il repris, de recevoir bientôt d’eux quelque heureuse explication en votre faveur, lorsqu’une lettre de M Belford m’a fait hâter mon départ pour Londres. Mais j’ai à vous rendre compte de la terre de votre grand-père ; j’ai à vous remettre les sommes qui vous sont dues, et que votre famille vous prie de recevoir, dans la crainte que vous ne soyez exposée à quelque besoin. C’est un gage si formel de la réconciliation qui s’approche, que j’ose répondre de l’avenir, si…

ah ! Monsieur, a-t-elle interrompu, obligée de s’arrêter par intervalles, je souhaite que cette démarche ne soit pas plutôt une marque qu’ils ne voudraient plus rien avoir de commun avec moi, si le ciel me condamnait à vivre plus long-temps. Je n’ai jamais eu l’orgueil d’aspirer à l’indépendance ; toutes mes actions en rendent témoignage : mais que servent à présent ces réflexions ? Ce que je vous demande uniquement, monsieur, c’est que, de concert avec M Belford, à qui j’ai d’extrêmes obligations, vous preniez la peine d’ajuster toutes ces affaires suivant mes dernières dispositions, que je laisse par écrit. M Belford me pardonnera ; mais c’est, au fond, la nécessité, plus qu’un choix libre, qui m’a fait penser à le charger du fardeau qu’il a la bonté d’accepter. Si j’avais