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de nourrir ses tristes réflexions ! Hélas ! Monsieur, a répondu cette bonne femme, qui oserait combattre ici ses volontés ? Nous sommes ici tous étrangers autour d’elle. Cependant nous lui avons fait des plaintes de cette noire imagination.

Je me suis approché de lui, après avoir observé qu’elle n’était point encore sortie de son assoupissement. Je devais, lui ai-je dit, vous prévenir sur ce spectacle. J’étais ici lorsque le cercueil est venu, et de ma vie je n’ai ressenti tant d’émotion. Mais elle n’avait personne de ses parens ; elle n’espérait d’en voir aucun ; et, dans la certitude de ne pas survivre long-temps, elle voulait, m’a-t-elle dit, laisser aussi peu d’embarras qu’il lui était possible à son exécuteur. Ce qui est révoltant pour tout le monde, ne l’est pas pour elle.

Je n’avais pas achevé de parler, qu’elle s’est réveillée en poussant un profond soupir. Le colonel s’est avancé plus loin derrière le paravent, afin de ne pas la surprendre tout d’un coup par sa présence.

Où suis-je ? A-t-elle dit en ouvrant les yeux. Que je suis assoupie ! Ai-je dormi long-temps ? Ne sortez pas, monsieur (car je me retirais) ; je m’appesantis extrêmement, et je suppose que cette disposition ne fera qu’augmenter. Elle a voulu se lever ; mais sa foiblesse l’a forcée de demeurer assise et d’appuyer sa tête sur le dos de son fauteuil. Ensuite, après quelques momens de silence : je crois, mes chers amis, nous a-t-elle dit à tous, que vos soins obligeans finiront bientôt. J’ai pris un peu de repos, mais je ne me sens point rafraîchie. L’extrêmité de mes doigts commence à s’engourdir ; je ne les sens plus : il est temps de faire partir mes lettres.

Je lui ai offert de les envoyer par un exprès. Elle m’a répondu qu’elles n’arriveraient que trop tôt par les voies ordinaires. Je lui ai dit que ce n’était pas jour de poste. Est il encore mercredi ? A-t-elle repris. Je ne sais plus comment le temps va, mais sa marche est bien ennuyeuse. Je crois qu’il faudrait penser à me remettre au lit ; tout s’y ferait avec plus de décence et moins d’embarras, n’est-ce pas, Madame Lovick ? Et se tournant vers moi : il me semble, monsieur, que je n’ai rien oublié. Ne me rappellerez-vous rien qui puisse servir à rendre votre office plus aisé ? Si M Morden venait, lui ai-je dit, je me figure, madame, que vous ne seriez pas fâchée de le voir.

Elle m’a répondu qu’elle était trop foible pour recevoir sa visite ; que, s’il se présentait néanmoins, elle le verrait sans doute, ne fût-ce que pour le remercier de ses dernières faveurs et de ses obligeantes intentions. Elle m’a demandé s’il avait envoyé.

Je sais, madame, qu’il serait déjà ici, s’il n’avait appréhendé de vous surprendre.

Rien, rien, monsieur, n’est capable de me surprendre à présent, excepté la visite de ma mère, qu’un reste de bonté amènerait pour m’accorder ses dernières bénédictions. Que cette surprise aurait de douceur pour moi ! Mais savez-vous si M Morden est venu à Londres exprès pour me voir ?

Oui, madame : j’ai pris la liberté de l’informer, par quelques lignes, de l’extrêmité où vous êtes.

Quelle bonté, monsieur ! Vous m’accablez de bienfaits. Mais je crains d’avoir quelque peine à le voir, parce qu’il ne me verra pas lui-même sans en ressentir beaucoup. S’il vient, comment lui cacher le cercueil ? Il ne manquera pas de m’en faire un reproche. Peut-être, en m’appuyant