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que vous fassiez assez d’injustice à mon amitié, pour demeurer exposée à quelques besoins, faute d’argent. Je crois que je ne vous le pardonnerais de ma vie.

En qualité d’un de vos curateurs, le colonel est résolu de vous mettre en possession de votre terre. Il s’est fait remettre, par le même droit, le produit de vos revenus, depuis la mort de votre grand-père ; ce qui monte à des sommes considérables, qu’il se propose de vous porter lui-même. Mais quelques mots échappés me font juger que vous avez trompé la petitesse d’esprit de certaines gens, en vous dispensant de leur demander du secours, puisqu’ils étoient déterminés à vous laisser dans le chagrin et l’embarras. Leur caractère se soutient. Je puis faire cette réflexion sans offense.

M Morden s’imagine que, pour préliminaire de réconciliation, leur dessein est de vous engager à faire un testament par lequel vous disposerez de votre bien suivant leurs intentions. Mais il proteste qu’il ne perdra point vos intérêts de vue, sans avoir obligé tout le monde à vous rendre justice ; et qu’il saura bien empêcher qu’amis ou ennemis ne vous en imposent. Parens ou ennemis, devait-il dire, car les amis n’en imposent point à leurs amis. Ainsi, ma chère, leur dessein est de vous faire acheter votre paix. Votre cousin (ce n’est pas moi, ma chère, quoique telle ait toujours été mon opinion) dit que votre famille est trop riche pour être humble, raisonnable ou modérée ; que pour lui, qui jouit d’une fortune indépendante, il pense à vous la laisser tout entière. Si le lâche Lovelace avait consulté du moins l’intérêt de la sienne, quels avantages n’aurait-il pas trouvés avec vous, quand votre mariage vous aurait privée de votre part à la succession paternelle ?

J’ai préparé le colonel à la résolution où vous êtes de nommer M Belford pour un office dont nous espérons encore que l’exécution sera différée long-temps. Il en a paru d’abord extrêmement surpris ; mais, après avoir entendu les raisons auxquelles je me suis rendue, il a seulement observé qu’une disposition de cette nature déplairait beaucoup à votre famille. Il s’est procuré, m’a-t-il dit, une copie de la lettre où Lovelace implore votre bonté, et s’offre à toutes sortes de réparations pour la mériter, avec la copie de votre réponse. Je vois qu’il souhaite beaucoup votre mariage, et qu’il ne l’espère pas moins, comme un remède, dit-il, qui est capable de réparer toutes les brèches.

Je ne finirais pas si tôt, et je répondrais à chaque article de votre dernière lettre, si, dans l’espérance où je suis de voir bientôt ma mère hors de danger, je n’étais résolue de me rendre à Londres pour vous expliquer tout ce que j’ai dans l’esprit, et pour vous dire, ma très-chère amie, en mêlant mon ame avec la vôtre, combien je suis, et serai toujours votre, etc.

Anne Howe.



M Belford à M Morden.

à Londres, 4 septembre.

Monsieur,

la nature des circonstances est une apologie suffisante pour la liberté que je prends de vous écrire ; d’autant plus que, si je n’ai pas l’honneur de vous connaître personnellement, je n’en suis pas moins instruit de votre mérite. J’apprends que vous employez vos bons offices dans la famille de Miss Clarisse Harlove, pour la réconciliation de la plus vertueuse et de la plus digne de toutes les femmes. Quelque générosité qu’il y ait dans cette entreprise, nous n’avons que trop de sujet de craindre ici que vos soins ne deviennent inutiles. Tous ceux qui sont admis à la familiarité de Miss Harlove sont persuadés qu’elle ne peut vivre plus de trois jours : et si vous souhaitez de la voir avant sa mort, il ne vous reste point de tems à perdre. Elle ignore que je vous écris. Je l’aurais