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M Belford à M Lovelace.

jeudi au soir, 31 août.

En finissant ma dernière lettre, je me flattais, à l’occasion de celle de M Morden, que la première visite que je rendrais à l’étonnante Miss Harlove, me ferait apprendre quelques circonstances aussi agréables qu’on peut en espérer dans sa situation : mais il en est arrivé tout autrement, quoiqu’elle n’en juge pas comme moi ; et de ma vie je n’ai été si frappé que dans l’occasion dont j’ai le récit à vous faire.

Lorsque je suis entré chez elle, vers sept heures du soir, elle m’a dit que, depuis que je l’avais quittée, le plaisir qu’elle avait reçu de la lettre de son cousin, avait d’abord excité ses esprits, jusqu’à lui faire admirer le changement qu’elle éprouvait ; mais qu’ensuite, s’étant livrée à de fâcheuses comparaisons, elle avait trouvé fort dur que ses plus proches parens n’eussent pas pris avec elle les méthodes par lesquelles M Morden avait commencé ; c’est-à-dire, qu’ils n’eussent pas cherché à se procurer des informations, et qu’ils ne l’eussent point entendue avant que de la condamner. à peine avait-elle fini cette réflexion, qu’entendant sur l’escalier le bruit de quelques hommes qui paroissaient transporter un grand coffre, elle a tressailli, et son visage s’est couvert de rougeur. Elle m’a regardé d’un air inquiet. Les imprudens ! A-t-elle dit ; ils sont arrivés deux heures trop tôt. Ne soyez pas surpris, monsieur ; c’est un soin que j’ai voulu vous épargner.

Avant que j’aye eu le temps de répondre, Madame Smith est entrée, en s’écriant : oh ! Madame, qu’avez-vous fait ? Madame Lovick, qui s’est présentée aussi-tôt, a fait la même exclamation ; et moi, qui ai su de ces deux femmes, tandis qu’elle s’avançait vers la porte, que c’était un cercueil qu’on lui apportait : juste ciel ! Me suis-je écrié aussi ; madame, qu’avez-vous fait ? Oh ! Lovelace ! Que n’étais-tu témoin de cette scène ? Toi, qui as toutes ces horreurs à te reprocher, je suis sûr que tu n’aurais pas été moins touché que moi, qui n’ai, grâces au ciel, à répondre d’aucune de ses afflictions.

Après avoir ordonné tranquillement aux porteurs de placer leur fardeau dans sa chambre de lit, elle est revenue vers nous. Ils avoient ordre, nous a-t-elle dit d’un air aussi calme, de prendre le temps de l’obscurité pour l’apporter. Vous excuserez, M Belford : et vous, mesdames, ne vous alarmez point. Il n’y a que la nouveauté qui doive ici vous surprendre. Pourquoi serions-nous plus choqués de cette vue que de celle des tombes de nos prédécesseurs que nous voyons tous les jours à l’église, et dont nous savons que les cendres seront un jour mêlées avec les nôtres ? Nous sommes tous demeurés en silence ; les femmes, avec leurs tabliers sur les yeux. Elle a repris : pourquoi cette tristesse, à l’ocsion de rien ? Si je mérite quelque blâme, c’est pour avoir marqué un soin excessif de cette partie terrestre. Mais j’aime à régler tout ce qui me regarde moi-même. Mes affaires essentielles sont si avancées, que j’ai du loisir pour des choses moins importantes. Peut-être aurais-je eu ce devoir de reste, dans un tems où j’aurais été moins capable de le remplir. Je n’ai ni mère ni sœur ; Madame Norton et Miss Howe ne sont pas proches de moi. Vous auriez ce spectacle dans peu de jours, si ce n’était pas aujourd’hui ; et peut-être quelqu’un de vous en aurait-il l’embarras. Qu’importe pour vous une différence si courte, lorsqu’il me cause moins de peine que de plaisir ? Ces préparatifs ne rendront pas ma mort plus prompte. L’usage n’est-il pas de faire un testament, quand on a quelque chose à laisser ? Et si l’on n’est