Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/512

Cette page n’a pas encore été corrigée

monsieur ; j’ose dire que votre cousine, dût-elle passer la plus longue vie dans l’infortune et la misère, n’attache point assez de prix aux commodités de la vie ni à la vie même, pour acheter les unes, et pour conserver l’autre par un engagement de cette nature ; un engagement qui deviendrait une récompense pour le violateur, aussi long-temps qu’elle serait fidèle à son devoir.

Ce n’est pas l’orgueil, c’est la force de mes principes qui m’inspire ce langage. Quoi ! Monsieur, lorsque la vertu, lorsque la pudeur fait tout l’honneur d’une femme, sur-tout dans l’état du mariage, votre cousine épouserait un homme qui n’a pu commettre un attentat sur elle, que dans l’espérance de la trouver assez foible pour recevoir sa main, aussi-tôt qu’il se trouverait trompé dans l’odieuse opinion qu’il avait de son caractère ? Il n’a pas eu sujet jusqu’aujourd’hui de me croire foible ; je ne lui en donnerai pas l’occasion, sur un point où je ne pourrais l’être sans crime.

Quelque jour, monsieur, vous serez peut-être informé de toute mon histoire ; mais alors je vous demande en grâce de ne pas penser à la vengeance. L’auteur de mon infortune n’aurait pas mérité ce nom, sans un étrange concours de malheureuses causes. Comme les loix n’auront aucune action sur lui lorsque je ne serai plus, la seule pensée de toute autre vengeance me paraît effrayante. Et dans ce cas, en supposant l’avantage du côté de mes amis, de quelle utilité sa mort serait-elle pour ma mémoire ? Si quelqu’un d’eux, au contraire, venait à périr par les armes, quelle aggravation pour ma faute ! Que le ciel vous comble de biens, mon cher cousin, et qu’il vous bénisse autant que vous m’avez consolée en m’apprenant que vous m’aimez encore, et que j’ai un cher parent dans le monde qui est capable de me plaindre et de me pardonner

Cl Harlove.



M Lovelace à M Belford.

jeudi, 31 août, en réponse à sa lettre du 29.

Je ne puis te dissimuler que je suis blessé jusqu’au fond du cœur par cette interprétation que Miss Harlove donne à sa lettre ; c’est une ruse qui n’est pas pardonnable. Elle ! Un naturel simple ! Une pénitente, une innocente, une fille de piété, et tout ce qu’elle voudra, être capable de tromper, avec un pied dans sa tombe !

Il est évident qu’elle a composé cette lettre dans le dessein de surprendre et de tromper. Si la crise où elle est ne lui ôte pas ces perfides idées, elle n’a pas moins besoin de l’indulgence du ciel, que moi de la sienne. Milord même, qui n’a pas inventé la poudre, y trouve de l’artifice, et le juge indigne d’elle. Mes cousines Montaigu entreprennent de la justifier, et je n’en suis pas surpris. Ce maudit sexe est si partial ! Je les hais, je les déteste toutes. Elles ne conviendront jamais de rien à leur préjudice, lorsque notre sexe y est intéressé : et pourquoi ? Parce qu’en censurant la tromperie dans une autre femme, elles condamneraient leur propre cœur.

Elle doit m’écrire lorsqu’elle sera dans le ciel. N’est-ce pas là le sens ? Le diable emporte de telles allégories ! Et qu’il t’emporte toi-même, pour avoir donné le nom d’innocent artifice à cette absurdité !

J’insiste à prétendre que si, dans une situation telle que la sienne, une femme de son caractère est autorisée à ces trompeuses allusions, un homme en pleine vigueur d’esprit et de corps, tel que je suis moi-même, peut croire tous ses stratagêmes et tous ses attentats fort bien justifiés. Grâces à mon étoile, ma conscience, à présent, peut demeurer tranquille sur ce point.

Cependant tu peux l’assurer de ma part que je ne la troublerai point par mes visites, puisqu’elle est disposée à les trouver si choquantes ; et j’espère