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Mais, à qui mon cœur peut-il s’ouvrir qu’à vous, lorsque celui qui devrait être mon protecteur, après avoir attiré sur moi toutes mes disgrâces, ne fait qu’augmenter mes alarmes ; lorsque je n’ai pas une servante, sur la fidélité de laquelle je puisse me reposer ; lorsque, par ses manières ouvertes, et par la gaieté de son humeur, il attache ici tout le monde à ses intérêts, et que je ne suis en quelque sorte qu’un zéro pour le faire valoir , et pour grossir la somme de mes douleurs ? J’ai beau faire ; cette source de tristesse se répand quelquefois en pleurs, qui se mêlent avec mon encre, et qui tachent mon papier. Je sais que vous ne me refuserez point une consolation si passagère. J’en suis, ma chère, à ne pouvoir plus supporter la vie que je mène. L’objet de tous mes désirs serait de me voir hors de ses atteintes. Il éprouverait bientôt quelque différence. Si je dois être humiliée, il vaudrait mieux que je le fusse par ceux à qui je dois de la soumission. Ma tante m’a marqué, dans sa lettre, qu’elle n’ose rien proposer en ma faveur. Vous me dites que, par vos informations, vous trouvez qu’on avait actuellement résolu de changer de mesures ; que ma mère, en particulier, était déterminée à tout entreprendre pour rétablir la paix dans la famille ; et que, dans la vue d’assurer le succès de ses efforts, elle voulait tenter de faire entrer mon oncle Harlove dans son parti. Il me semble qu’il y a quelque chose à bâtir sur ce fondement. Je puis du moins essayer ; c’est mon devoir d’employer toutes sortes de méthodes pour rétablir en faveur cette pauvre disgrâciée. Qui sait si cet oncle, autrefois si indulgent, qui a beaucoup de poids dans la famille, ne se laissera pas engager à prendre mes intérêts ? J’abandonnerai de tout mon cœur, à qui l’on voudra, tous mes droits à la succession de mon grand-père, pour faire trouver mes propositions plus agréables à mon frère : et s’il faut une garantie encore plus forte, je m’engagerai à ne me jamais marier. Que pensez-vous, ma chère, de cet expédient ? Sûrement, ils ne peuvent avoir résolu de renoncer à moi pour toujours. S’ils considèrent, sans partialité, tout ce qui s’est passé depuis deux mois, ils trouveront quelque chose à blâmer dans leur conduite comme dans la mienne. Je présume que cet expédient vous paraîtra digne d’être tenté. Mais voici l’embarras ; si j’écris, mon impitoyable frère a ligué si fortement tout le monde contre moi, que ma lettre passera de main en main, jusqu’à ce qu’il ait endurci chacun à rejeter ma demande. Au contraire, s’il y avait quelque moyen d’engager mon oncle à s’intéresser pour moi comme de lui-même, j’aurais d’autant plus d’espérance, qu’il lui serait aisé de faire entrer dans mon parti ma mère et ma tante. Voici donc ce qui m’est venu à l’esprit. Supposons que M Hickman, dont l’excellent caractère s’est attiré la considération de tout le monde, cherchât l’occasion de rencontrer mon oncle, et que, sur la connaissance