Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/503

Cette page n’a pas encore été corrigée

l’amour de vous-même, de vous donner un cœur plus tendre que vous ne paroissez l’avoir à présent, parce qu’un cœur tendre, j’en suis convaincue, est un plus grand bien pour celui qui le possède, que pour ceux mêmes qui en ressentent les effets. Dans ces sentimens, ma chère Bella, je suis votre très-affectionnée sœur,

Cl Harlove.



M Lovelace à M Belford.

mardi matin, 29 août.

Je t’apprends, ami, que nous avons reçu la visite du colonel Morden. N’es-tu pas impatient d’en savoir le sujet et les circonstances ? Recueille ton attention pour un curieux dialogue. Il vint hier à cheval, suivi d’un seul laquais. Milord le reçut comme un parent de Miss Harlove, c’est-à-dire, avec les plus grandes marques de considération.

Après les premiers complimens, il s’adressa dans ces termes à milord et à moi : comme vous n’ignorez pas, messieurs, que je suis lié par le sang avec les Harlove, je n’ai pas besoin d’apologie pour le sujet qui m’amène, et qui est mon principal but dans la visite que j’ai l’honneur de vous rendre.

milord. Miss Harlove, monsieur ! L’affaire de Miss Harlove ! C’est apparemment le motif de votre visite. Miss Harlove, au témoignage de tout le monde, est la plus excellente de toutes les femmes.

le col. je suis ravi, milord, que vous en ayez cette opinion.

milord. c’est non seulement la mienne, mais celle de toute ma famille, de mes soeurs, de mes nieces, et de M Lovelace même.

le col. plût au ciel que ç’eût toujours été celle de M Lovelace !

lov. votre absence a duré long-temps, monsieur ; peut-être n’êtes-vous pas pleinement informé des circonstances.

le col. il y a plus de six ans, monsieur, que je suis parti d’Angleterre. Miss Clarisse Harlove en avait alors onze ou douze. Mais il est rare qu’à vingt ans on ait autant de prudence et de discrétion. Esprit, figure, jamais je n’ai vu tant de perfections annoncées à cet âge ; et je n’ai pas été surpris d’apprendre qu’elle ait plus que rempli de si belles espérances. Pour la fortune, ce que son père et ses oncles se proposaient de faire en sa faveur, et ce que j’avais dessein d’y joindre moi-même, avec ce que son grand-père avait déjà fait, devait la rendre un des plus brillans partis du royaume.

lovel. je reconnais Miss Harlove dans ce portrait. Ajoutez-y, monsieur, que, sans la violence et l’humeur implacable de sa famille qui a voulu l’engager, malgré son penchant, dans un mariage indigne d’elle, Miss Harlove serait aujourd’hui très-heureuse.

le col. j’avoue, monsieur, comme vous venez de l’observer, que je ne suis pas entiérement informé de ce qui s’est passé entre vous et ma cousine. Mais lorsque j’ai su, pour la première fois, que vous lui rendiez des soins, permettez-moi de le dire, je n’avais qu’une objection à faire contre vous, importante à la vérité ; et je ne vous cacherai point que je lui en ai marqué librement ma pensée dans une lettre. Pour tout le reste, il me semblait que personne ne lui convenait mieux que vous ; car vous êtes un galant homme, qui joignez à toutes les grâces de la figure,