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nom de toute la famille ; c’est de partir pour la Pensilvanie, et d’y résider pendant quelques années, jusqu’à ce que votre aventure soit oubliée. Alors, si la justice du ciel vous épargne, et si vous menez une vie pénitente, on pourra, du moins, lorsque vous serez à votre vingt et unieme année, vous accorder la possession de votre terre, ou vous en faire toucher le revenu, à votre choix. C’est le temps que mon père fixe, parce que tel est l’usage, et parce qu’il juge que votre grand-père l’aurait fixé de même, et parce que votre belle conduite a pleinement prouvé que, dix-huit ans n’ont pas été pour vous l’ âge de discrétion. Le pauvre vieillard, qui commençait à radoter, quoique fort bon homme, s’y est malheureusement trompé. Mais je ne veux pas être trop sévère. Monsieur Harley, qui a sa sœur en Pensilvanie, nous promet de l’engager à vous prendre chez elle en pension. C’est une veuve sage et raisonnable, qui a l’esprit fort cultivé. Si vous aviez une fois passé la mer, vos parens seraient délivrés d’une multitude de soins et de craintes, sans parler de la honte du scandale. C’est, à mon avis, ce que vous devriez désirer sur toutes choses. M Harley offre de vous procurer, dans le passage, toutes les commodités qui conviennent à votre rang et à votre fortune. Il est intéressé à quelques navires, qui doivent mettre à la voile dans un mois. Vous serez libre de prendre avec vous votre fidèle Hannah, ou qui vous voudrez de vos nouvelles connaissances. On suppose que ce sera personne de votre sexe.

Voilà ce que j’avais à vous communiquer. Si vous m’accordez une réponse, que le porteur de ma lettre ira prendre mercredi au matin, vous me ferez vraiment une grâce extrême.

Arab Harlove.



Miss Clarisse Harlove au docteur Lewin.

monsieur,

je m’étais figuré, jusqu’au moment où j’ai reçu votre chère lettre, qu’il ne me restait ni père, ni oncle, ni frère, ni même un seul ami, de tant de personnes de votre sexe qui m’honoraient autrefois de leur estime. Cependant je vous connais si bien, que, n’ayant rien à me reprocher du côté de l’intention, je me trouve blâmable, dans le doute même où je pouvais être du jugement que vous portiez de moi, de n’avoir pas cherché à m’éclaircir ; et, si les apparences m’avoient fait tort dans votre esprit, de n’avoir pas tenté de m’y rétablir. Mais attribuez, monsieur, cette négligence à différentes causes, entre lesquelles je dois compter la honte de comparer le rang où j’étais autrefois dans votre estime, avec le degré que j’y dois occuper à présent, puisque mes plus proches parens m’abandonnent ; et ma profonde tristesse, qui, répandant la défiance dans un cœur humble, m’a fait craindre de recourir à vous, pour y retrouver en quelque sorte tous les chers amis que j’ai perdus. Ensuite n’ai-je pas dû penser qu’on m’accuserait peut-être de vouloir former un parti contre ceux que le devoir et l’inclination m’obligent également de respecter ? Si long-temps traînée, d’ailleurs, entre la crainte et l’espérance ; si peu maîtresse de moi-même dans un temps ; si remplie, dans un autre, de la crainte de causer quelque désastre ; ne recevant de vous aucun encouragement qui pût me faire espérer un peu de faveur ; appréhendant avec raison que ma famille ne vous eût engagé du moins au silence !

Toutes ces considérations… ; mais que servent mes réflexions sur le passé ? J’étais destinée à l’infortune…, pour obtenir bientôt un meilleur sort ; c’est mon heureuse espérance. Ainsi, me renfermant dans cette idée, j’écarte toutes les autres, et je réponds en peu de mots à votre obligeante lettre.

Vos raisons me paraîtraient absolument convaincantes dans tout autre