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s’élevât devant mes yeux pour me troubler la vue ! Au milieu des terres marécageuses où je suis à présent, il voltige autour de moi, sans disparaître un moment ; et s’il m’éclaire, c’est pour me rejeter en arrière, lorsque je crois m’être avancée vers le terme. Ma seule consolation, c’est qu’il y a un point commun, où les plus grandes erreurs n’empêcheront pas que tout ne se rencontre. Tôt ou tard je m’y reposerai paisiblement, et j’y trouverai la fin de tous mes malheurs. Mais, comment puis-je m’écarter si loin de mon sujet, et m’écarter toujours contre mon intention ? Je voulais dire seulement que j’avais commencé, il y a quelque tems, une lettre pour M Morden, mais que je ne puis l’achever. Vous jugez bien que je ne le puis. Quel moyen de lui dire que tous ses complimens sont employés mal-à-propos, que son conseil est inutile, tous ses avertissemens perdus, et que la plus heureuse de mes espérances est de me voir la femme de ce libertin dont il m’exhorte si pathétiquement à me garantir ? Cependant, puisque mon sort paraît dépendre de la bouche de M Lovelace, je vous prie, ma chère, de joindre vos prières aux miennes, pour demander au ciel que, de quelque manière qu’il dispose de moi, il ne permette pas que cette horrible partie de la malédiction de mon père, que je puisse être punie par l’homme dans lequel il suppose que j’ai mis ma confiance , soit malheureusement remplie. Demandons-lui cette grâce, pour l’intérêt de M Lovelace même, et pour celui de la nature humaine : ou, s’il est nécessaire, pour le soutien de l’autorité paternelle, que je sois punie comme mon père le désire, que ce ne soit pas par quelque bassesse infâme et préméditée ; afin que je puisse du moins justifier l’intention de M Lovelace, s’il m’ ôte le pouvoir de justifier son action ; sans quoi, ma faute paraîtrait double aux yeux du monde, qui ne juge que par l’événement. Cependant, il me semble que, d’un autre côté, je souhaiterais que la rigueur de mon père et de mes oncles, dont le cœur n’a déjà que trop été blessé de ma faute, pût être justifiée sur tout autre point que cette cruelle malédiction ; et que mon père voulût consentir à la révoquer avant qu’elle soit connue de tout le monde ; du moins dans cette terrible partie qui regarde la vie future.

Il faut que je quitte la plume. Il faut que j’écarte ces tristes réflexions. Je veux relire encore une fois la lettre de mon cousin, avant que de fermer mon enveloppe ; alors je la saurai par cœur.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche au soir, 7 de mai. Quand vous considérez ma déplorable situation, et tant de circonstances choquantes dont elle est accompagnée, quelques-unes même si mortifiantes pour ma fierté ; toutes aggravées par le contenu de la lettre de M Morden, vous ne devez pas être surprise que les vapeurs sombres qui m’assiègent le cœur, s’élèvent jusqu’à ma plume. Cependant, comme vous entrez si généreusement dans mes peines, je conçois qu’il serait plus obligeant de ma part, plus digne d’une amie, de vous en cacher la partie la plus affligeante, sur-tout lorsque je ne puis espérer aucun soulagement de mes confidences et de mes plaintes.