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mon cher amour ! Ma généreuse, mon adorable Clarisse ! Que cette divine facilité à pardonner nous fait d’honneur à tous deux ! à moi, pour t’en avoir donné l’occasion ! à toi, pour la faire tourner si glorieusement à l’avantage de l’un et de l’autre !

Mowbray arrive avec tes lettres. Je quitte mon agréable sujet, pour en faire succéder un qui me plaira moins, j’en suis sûr. Le pesant Mowbray s’est engagé à me tenir compagnie dans mon voyage, et je lui promets de dissiper les vapeurs qu’il a contractées près d’un malade. Il me dit qu’après avoir respiré l’air entre les gémissemens de Belton et les sermons de Belford, il sera trois jours sans revenir à son état naturel. Il te reproche d’augmenter la foiblesse du pauvre moribond, au lieu de l’encourager à supporter sa destinée.

Je suis fâché que la fermeté lui manque au dernier acte. Mais sa maladie a duré long-temps, et l’esprit s’en ressent comme le corps. Mercredi, au soir.

J’ai lu ta lamentable lettre. Pauvre Belton ! Que d’heures vives et plaisantes nous avons passées ensemble ! C’était un caractère libre et déterminé : qui se serait attendu à le voir finir par des foiblesses et des terreurs ? Mais pourquoi ne lui remets-tu pas l’esprit, sur la mort de quelques braves qu’il a tués ? Il s’y est toujours pris en homme d’honneur, et comme j’aurais fait dans les mêmes circonstances. Voilà ce que tu lui devrais dire, et lui représenter qu’il n’a point à répondre du malheur d’autrui.

La mort, dit un de nos poëtes, considérée simplement en elle-même, n’épouvante point la raison. Je crois cette idée fausse ; et tes peintures forcées, tes graves réflexions sur les répugnances de la nature en sont une preuve. Pour moi, qui ne t’apprendrai rien de nouveau en t’assurant que personne ne redoute moins la mort que moi, dans une occasion d’honneur, je ne laisse pas de t’avouer ingénûment que ce bas monde me plaît si fort (quoique je n’aie pas toujours eu sujet de m’en louer), et que je prends tant de goût aux délices de mon âge, à mes espérances de fortune, sur-tout à celles que j’ai conçues nouvellement du côté de ma chère, de ma trois fois chère Miss Harlove, que, quand je me supposerais sûr de n’être pas mal dans un autre état, je serais très-désespéré, très-effrayé, si tu veux, de perdre mon bonheur avec la vie. Mais je n’ai ni le temps ni la volonté de répondre à tes lugubres argumens. Je remets ce soin après mon mariage.

Après mon mariage ! Ai-je dit. Charmante idée ! Il faut m’armer de patience, pour demeurer privé de la vue de ma déesse, jusqu’à ce qu’elle soit chez son père. Cependant, comme tu m’assures qu’il ne lui reste que l’ombre de sa beauté, j’aurais pris un plaisir extrême à la voir à présent, et tous les jours qui me restent à compter jusqu’à notre mariage, pour avoir la satisfaction d’observer par quels charmans degrés le repos de cœur et d’esprit, et la joie de se voir réconciliée avec ses amis, vont la rétablir dans toute sa splendeur. Au fond, je crois te devoir des remerciemens pour lui avoir fait éviter ma visite. Grâces à l’amour, tout est en si bon train, que je consens même à te pardonner tes noires infidélités. Autrement, je t’aurais appris l’obéissance que tu dois à ton général. Croirais-tu que cet épais Mowbray s’afflige de me voir si près de mon bonheur avec Miss Harlove ?