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fois : cependant j’ai pris occasion d’un autre incident, pour secouer un peu cette pesanteur. Voici, m’a dit la veuve, quelques passages que Miss Harlove a transcrits, cette nuit, de son livre de prières, pour s’en faire un sujet de méditation. Elle m’a permis d’en tirer une copie ; et je prendrais la liberté de vous les lire, si j’en pouvais espérer quelque effet.

Ah ! Lisez, Madame Lovick.

Le titre, premièrement, sentait l’esprit des Harlove. sur les persécutions de l’ennemi de mon ame. C’étoient différens versets des pseaumes, où le roi David demande au ciel de le délivrer du méchant homme, de l’homme violent, qui ne médite que du mal dans son coeur, qui tend des pièges à l’innocence ; et d’autres, où il se plaint d’être seul, comme le pélican du désert, comme un pauvre passereau sur le toit de la maison, de manger des cendres au lieu de pain, de mêler ses larmes dans ce qu’il boit, etc. En vérité, Madame Lovick, ai-je repris après cette lecture, il me semble que je suis traité avec un peu de rigueur, si c’est à moi que Miss Harlove en veut dans tous ces passages. Comment peut-elle me nommer l’ennemi de son ame, lorsque j’adore également son ame et son corps ? Elle me traite d’homme violent, de méchant homme : j’avoue que j’ai mérité ces deux noms ; mais j’apporte à ses pieds mon repentir, et je ne lui demande que le pouvoir de réparer mes offenses.

Par les pièges, elle entend sans doute le mariage. Mais est-ce donc un crime de vouloir l’épouser ? Quelle autre femme en aurait cette idée, et se plairait plus à vivre dans un désert, comme le pélican, ou sur un toit, comme le passereau, qu’à se voir accompagnée de quelque oiseau vif et gai, dont le ramage se ferait entendre jour et nuit autour d’elle ? Elle dit qu’elle a mangé des cendres au lieu de pain ; fâcheuse méprise, assurément : et qu’elle a mêlé ses larmes avec ce qu’elle a bu ; c’est avoir le vin fort tendre, dirais-je de toute autre que Miss Harlove, qui ferait le même aveu.

Mais ici, Madame Lovick, comme ce passereau sur le toit de la maison n’est pas observé sans quelque vue, permettez que je vous demande si la chère personne ne serait pas actuellement cachée dans quelque lucarne du grenier de Madame Smith ? Dites-le-moi naturellement : qu’en est-il, Madame Lovick ? Qu’en est-il, Madame Smith ?

Elles ont recommencé toutes deux à m’assurer qu’elle était sortie, et qu’elles ignoraient où elle était allée.

Tu vois, cher ami, que je me suis efforcé de résister au chagrin que je ressentais des propos de ces deux femmes, et de cette collection de passages qu’on avait rangés en bataille contre moi. J’ai ajouté dans la même vue quantité d’autres réflexions bizarres, et c’est le seul fruit que j’en ai tiré. Mais la veuve n’a pas lâché prise. Elle m’a donné, je t’assure, de l’embarras de reste, par le tour sérieux et touchant de ses reproches. Madame Smith l’a secondée par quelques mots ; et les deux plats visages, Jean et Joseph, n’étant pas là pour m’offrir un sujet de diversion, il ne m’a pas été possible de faire tourner cette conversation en badinage. à la fin, elles ont réuni toutes deux leurs efforts, pour me faire renoncer au dessein de voir Miss Harlove. Mais je n’ai pas été traitable sur ce point : au contraire, j’ai pressé Madame Smith de me louer une de ses chambres, jusqu’à ce que cette satisfaction me fût accordée ; et, ne fût-ce que pour trois jours, pour deux, pour un seul, j’ai offert de payer l’année de loyer, et de rendre l’appartement après l’entrevue. Mais elle s’en est excusée ; et toutes deux m’ont assuré que jusqu’à mon départ Miss Harlove ne rentrerait point dans le sien, dût-elle s’absenter l’espace d’un mois.

Ce langage m’a plu, parce qu’il m’a fait juger qu’elle n’était pas si mal