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La plaisanterie, Belford, n’aurait point été de saison avec une femme de ce caractère. Je l’ai suppliée de me dire où je pouvais espérer de voir cette chère personne. J’ai pris le ciel à témoin que je ne voulais ni l’offenser, ni lui causer le moindre effroi ; que je ne lui demandais qu’un demi-quart-d’heure d’entretien ; et qu’après l’avoir obtenu, je ne la troublerais de ma vie, si sa volonté m’en faisait une loi. Monsieur, m’a dit la veuve, votre visite lui causerait la mort. Je ne vous déguiserai point la vérité : elle revint hier au soir, quoique dans un état qui ne lui aurait pas dû permettre de quitter son lit. Elle revint pour mourir ici, nous dit-elle ; et persuadée que, s’il lui était impossible d’éviter votre vue, elle mourrait en votre présence.

Cependant, être sortie si matin ! Quelle apparence, ma chère veuve ?

Je puis vous assurer, monsieur, que dans la crainte de votre retour, elle n’a pas pris deux heures de repos. Ses alarmes lui ont donné de la force ; elle en souffrira, lorsqu’elles seront passées. Mais ne se trouvant point capable de recevoir votre visite, elle a pris des porteurs ce matin, et nous ignorons où elle s’est retirée. Je crois que son dessein étoit de se faire conduire au bord de la rivière, pour y prendre un bateau ; car elle ne peut soutenir le mouvement du carrosse, elle s’en trouva hier fort mal.

Avant que d’aller plus loin, ai-je repris, s’il est vrai qu’elle soit sortie si matin, vous ne sauriez trouver mauvais que je visite tous les appartemens de cette maison, parce qu’on m’a garanti qu’elle y est actuellement. Soyez sûr, monsieur, qu’elle n’y est pas. Vous êtes libre de vous satisfaire ; mais nous l’avons conduite à sa chaise, Madame Smith et moi. Sa foiblesse nous obligeait de la soutenir. Elle nous a dit : où puis-je aller, Madame Lovick ? Où dois-je me réfugier,

Madame Smith ? Cruel, cruel persécuteur ! Dites lui, s’il revient, que je lui ai donné ce nom. Que le ciel lui accorde la paix qu’il me refuse !

Cher amour ! Me suis-je écrié. J’ai baissé les yeux, et j’ai tiré mon mouchoir.

La veuve a pleuré. Je souhaiterais, a-t-elle dit en soupirant, de ne l’avoir jamais connue. Je l’aime comme ma propre fille. Madame Smith a pleuré.

J’ai perdu alors toute espérance de la voir aujourd’hui. J’étais également chagrin d’avoir manqué l’occasion, et d’apprendre qu’elle se portât si mal. Plût au ciel, ai-je dit, qu’elle me donnât le pouvoir de réparer mes injustices ! Je ne suis qu’un malheureux ingrat. Vous savez, Madame Lovick, combien je l’ai outragée, et tout ce qu’elle souffre de ses cruels parens. C’est le second de ces deux maux, qui la pénètre jusqu’au fond du cœur. Sa famille est la plus implacable qu’il y ait au monde ; et cette chère personne, en refusant de me voir et de se réconcilier avec moi, fait un peu trop connaître qu’elle est du même sang.

ô monsieur ! A répondu la veuve, rien ne convient moins que ce reproche à l’infortunée Miss Harlove. Jamais je n’ai vu tant de douceur dans une femme, une piété si édifiante, un naturel si disposé à l’oubli des offenses. Elle s’accuse sans cesse ; elle excuse ses parens. Pour vous, monsieur, elle vous pardonne ; elle vous souhaite toutes sortes de biens, et plus de bonheur qu’elle n’en espère. Pourquoi, monsieur, ne voulez-vous pas la laisser mourir en paix ? C’est tout ce qu’elle désire. Vous ne paroissez pas un homme insensible. Comment pouvez-vous persécuter une jeune personne, sur laquelle vous n’avez pas d’autres droits que ceux de la violence, et qui est sans protection pour s’en défendre ? Madame Lovick s’est remise à pleurer ; Madame Smith a pleuré aussi. Ma chaise m’est devenue incommode, et j’ai changé de place plusieurs