Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/483

Cette page n’a pas encore été corrigée

quart d’heure, toutes ces images ne m’ont pas été moins présentes que des réalités.

Me pardonneras-tu de t’entretenir d’une misérable vision ? Tu en concluras du moins que, la nuit comme le jour, ma Clarisse m’est toujours présente.

Mais j’entends Will, qui m’apporte quelque nouvelle.

Il m’apprend que Miss Harlove revint chez elle, hier au soir, entre onze heures et minuit ; et qu’ayant continué de faire la garde jusqu’à ce moment, il est sûr qu’elle y est encore… je m’habille, je pars sur le champ. Hélas ! Will a su qu’elle est arrivée dans un triste état : mais, pour ne pas augmenter son indisposition, j’aurai toute la douceur, toute la tendresse d’une colombe.



Monsieur Lovelace, au même.

mardi, avant midi.

Maudite étoile ! J’ai perdu encore une fois mes peines. Il était environ huit heures, lorsque je suis arrivé chez Smith. La femme était déjà dans son comptoir.

Bonjour, vieille connaissance, lui ai-je dit en l’abordant. Je sais que mon amour est dans sa chambre. Qu’on l’avertisse que je suis ici, que j’attends la permission de monter, et que je ne me payerai pas d’un refus. Dites-lui que je n’approcherai d’elle qu’avec le plus profond respect, et devant les témoins qu’il lui plaira de choisir ; en un mot, que je ne me conduirai que par ses loix.

En vérité, monsieur, vous vous abusez. Madame n’est point au logis, ni proche même du logis.

C’est ce qu’il faut voir, ai-je répliqué. Will (en lui parlant à l’oreille), tâche de savoir si elle n’est pas dans le voisinage, mais sans perdre de vue cette maison, de peur qu’elle ne sorte pendant mes recherches. Will a suivi mes ordres. Je suis monté sans autre compliment, en homme connu, et suivi seulement de la femme. J’ai visité chaque chambre, à l’exception de celle qui était hier fermée, et que j’ai retrouvée dans le même état. J’ai appelé Miss Harlove du ton le plus tendre, mais un profond silence m’a convaincu qu’elle n’était pas chez elle. Cependant le fond que je faisais sur mes intelligences ne me permettait pas de douter qu’elle ne fût dans la maison.

Je suis monté au second étage. J’ai fait le tour de la première chambre : point de Miss Harlove.

Et qui loge ici ? Ai-je demandé, en m’arrêtant à la porte voisine.

C’est Madame Lovick, monsieur ; une dame veuve.

Quoi ! La chère Madame Lovick ! Me suis-je écrié. Je connais son excellent caractère, par le témoignage de mon cher ami M Belford. Il faut absolument que je la voie. Ah ! Madame Lovick, faites-moi la grâce d’ouvrir. Sa porte s’est ouverte. Votre serviteur, madame. Ayez la bonté d’excuser. Vous savez mon histoire ; vous n’avez pu refuser votre admiration au modèle de toutes les femmes. Chère Madame Lovick, ne m’apprendrez-vous pas ce qu’elle est devenue ?

Hélas ! Monsieur, elle partit hier, dans la seule vue de vous éviter.

Comment a-t-elle pu savoir que je devais être à Londres ?

Elle a craint votre arrivée, lorsqu’elle a su que vous commenciez à vous porter mieux. Ah ! Monsieur, quelle pitié, qu’un homme tel que vous paroissez, soit capable d’en user si mal, avec l’innocence et la bonté même ! Vous êtes une excellente femme, Madame Lovick. Mon ami M Belford ne m’a pas trompé, et Miss Harlove est un ange.

Oui, monsieur ; Miss Harlove a toutes les perfections des anges ; et vraisemblablement, elle sera bientôt du nombre.