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M Lovelace à M Belford.

mardi, 22 d’août, à sept heures du matin.

Il faut que je t’écrive à mon réveil. J’ai passé une très-fâcheuse nuit, et je ne connais plus le repos. Après un sommeil mille fois interrompu, je viens de me réveiller, dans l’effroi d’un maudit songe. Comment les songes laissent-ils de si fortes impressions ? Il m’a semblé que je jouissais d’une entrevue avec l’idole de mon cœur. Je n’ai trouvé dans elle que bonté, condescendance, et disposition à pardonner. Elle s’est laissée vaincre en ma faveur, par les intercessions réunies de milord M, de miladi Lawrance, de miladi Sadleir, et de mes deux cousines Montaigu, que je voyais près d’elle en longs habits de deuil. Milord avait lui-même un grand manteau noir, qui traînait fort loin derrière lui. Ils m’ont dit qu’ils avoient pris cet habillement pour exprimer le chagrin qu’ils avoient de mes excès, et pour toucher ma Clarisse par ce témoignage de tristesse.

J’étais à genoux, mon épée à la main ; offrant de la remettre dans son fourreau, ou de l’enfoncer dans mon cœur, suivant l’ordre que j’attendais de sa bouche.

Au même moment, j’ai cru voir son cousin Morden, qui s’élançait dans la chambre par la fenêtre, l’épée nue, en criant : meurs, Lovelace, meurs à l’instant, et vas subir un châtiment éternel, si tu balances à réparer par le mariage les torts que tu as faits à Miss Harlove.

Je me levais pour répondre à cette insulte, lorsque milord s’est jeté entre Morden et moi, avec son grand manteau noir, dont il m’a couvert entièrement. Aussi-tôt Miss Harlove m’a pris dans ses bras, enveloppé comme j’étais du manteau ; et de cette voix mélodieuse qui a fait tant de fois le charme de mes oreilles, elle s’est écriée : ah ! Grâce, grâce pour un homme si cher ! Et vous, Lovelace, grâce aussi pour un si cher cousin ! Verrai-je augmenter mes malheurs, par le meurtre de l’un ou de l’autre ? Dans le ravissement d’une si douce médiation, je me suis cru prêt à serrer ma charmante de mes deux bras ; lorsque tout d’un coup le plafond de la chambre s’est ouvert et m’a fait voir la figure la plus angélique dont on ait jamais eu l’idée, qui me semblait descendre d’une voûte d’or et d’azur, au milieu d’un cercle d’autres anges, tout brillans de leur parure et de leur propre éclat. J’ai entendu plusieurs voix, qui répétaient d’un ton joyeux et triomphant : venez à nous ; venez, venez à nous : et ce chœur d’esprits célestes ayant entouré ma charmante, je l’ai vue monter avec euxla région qu’ils habitent. Le plafond, qui s’est fermé aussi-tôt, m’a dérobé la suite du spectacle. Je me suis trouvé, entre les mains, une robe de femme, d’un fond bleu, toute parsemée d’étoiles d’or, que j’ai reconnue pour celle de Miss Harlove, et par laquelle je m’étais efforcée de la retenir : mais c’est tout ce qui m’est resté de cette adorable fille. Ensuite, ce que je ne me rappelle pas sans horreur, le plancher fondant sous moi, comme le plafond s’était ouvert pour elle, je suis tombé dans un trou plus effroyable que je ne puis le représenter ; et je me suis senti si rapidement porté par mon poids, sans appercevoir aucun fond, que je me suis réveillé dans les agitations de ma crainte. J’étais inondé d’une sueur froide ; et pendant plus d’un