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Eh bien ! Mes amis, je n’en crois pas un mot. Pardonnez, mais je veux monter moi-même. Là-dessus, Jean a pris un air plus sombre et moins respectueux. Monsieur, cette maison est à moi, etc…

et quoi ? Je veux la voir, je la verrai. Apprenez que j’en ai le droit ; je suis un commissaire.

Je suis monté. Ils m’ont suivi, en murmurant, et dans un extrême embarras. La première porte qui s’est offerte était fermée. J’ai frappé assez fort.

Vous jugez bien, monsieur, que madame a la clé de sa chambre.

En-dedans, c’est de quoi je ne doute pas, mon cher ami ; et j’ai frappé une seconde fois. Comme j’étais sûr qu’au son de ma voix, son naturel doux et timide la trahirait par quelque marque de crainte qu’il me serait aisé d’entendre, j’ai dit assez haut : je sais que Miss Harlove est ici. Très-chère miss, ouvrez, au nom de dieu. Accordez-moi l’honneur de vous voir un moment. Mais, n’entendant rien, et voyant l’air tranquille à Smith, j’ai continué de marcher vers la porte voisine, où j’ai trouvé la clé en-dehors. Je l’ai ouverte ; j’ai parcouru la chambre des yeux, et j’ai visité le cabinet. Le mari, piqué de mon audace, a dit à sa femme qu’il n’avait jamais vu d’homme plus incivil. Ami, ai-je répondu pour elle en tournant brusquement la tête, observe un peu mieux ta langue ; ou je te donnerai une leçon que tu n’as jamais reçue de ta vie.

Monsieur, il n’est pas d’un galant homme de venir insulter les gens dans leur maison. Ho ! Je te prie, point d’insolence sur ton fumier.

Je suis retourné à la porte que j’avais trouvée sans clé. Ma chère Miss Harlove, de grâce, ouvrez un moment, si vous n’aimez mieux que je fasse sauter la porte. Je poussais si rudement, que Smith en a pâli ; et sa frayeur lui alongeant le visage, il s’est hâté d’appeler Joseph, un de ses ouvriers, qui travaillait apparemment au grenier. Joseph est descendu. J’ai vu paraître un garçon de trente ans, court et épais, les cheveux crépus, dont la présence a fait prendre au maître une contenance plus ferme. Mais, fredonnant quelques notes, j’ai visité toutes les autres chambres ; j’ai sondé du poing tous les passages, pour découvrir quelque porte dérobée ; et je suis monté ensuite au second, en continuant de chanter. Jean, Joseph et Madame Smith me suivaient en tremblant.

J’ai poussé mes recherches dans tous les lieux qui se sont présentés. Je suis entré dans deux chambres dont les portes étoient ouvertes ; j’ai pénétré dans les cabinets ; j’ai fait passer mes regards par la serrure d’une porte fermée. Point de Miss Harlove, par tous les dieux ! Que faire ? à quoi se résoudre ? Quel sera son chagrin, de ne s’être pas trouvée chez elle ! J’avais mon dessein dans cette dernière exclamation : c’était de découvrir si l’homme ou la femme savaient l’histoire de ma charmante ; et l’effet ne m’a pas trompé. C’est ce que j’ai peine à croire, a répondu Madame Smith. Pourquoi donc, madame ? Savez vous qui je suis ?

Je le devine, monsieur.

Et pour qui me prenez-vous ?

Vous êtes M Lovelace, ou je me trompe beaucoup.

Lui-même, madame. Mais comment devinez-vous si juste ? Vous ne m’aviez jamais vu, n’est-ce pas ? (ici, Belford, j’attendais un compliment : mais je l’ai manqué).