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tiendrai parole ; si tu veux différer ton départ pour Epsom, tu en seras témoin. Je connais le colonel Morden pour homme d’honneur et de courage. Mais le colonel Morden s’est mêlé d’amour, comme Belford et moi : et connais-tu quelqu’un qui ne s’en mêle pas ? L’enfer a toujours en main quelque jolie créature pour tenter un honnête homme, de quelqu’ âge, de quelque rang, de quelque degré qu’il puisse être. J’ai souvent entendu parler du colonel, à ma charmante, avec beaucoup de distinction et d’estime. Peut-être servira-t-il à lui calmer l’esprit, en inspirant un peu plus de raison à son implacable famille.

Il me semble que je suis affligé de l’état du pauvre Belton. Mais on ne peut être malade, ou vaporeux, que tu ne prennes aussi-tôt le ton lugubre, et que tu ne mettes les gens au rang des morts. Je te crois propre à servir de tambour pour la marche des enterremens. Attends-toi, malgré ce que je t’ai dit dans ma dernière, que je te ferai rendre compte, à mon arrivée, des extraits que tu as communiqués à Miss Harlove ; sur-tout si son coeur s’obstine à me rejeter. Combien de fois me suis-je vu accorder par une femme, ce qu’elle avait juré de me refuser ! Mais, par ces diables d’extraits, je ne doute pas que tu n’aies barré contre moi la porte de son cœur, comme elle était accoutumée de me barrer celle de sa chambre. Si cette crainte n’est pas une injustice que je te fais, conviens que tu t’es rendu coupable d’une perfidie que l’amitié ne peut soutenir, et que l’honneur ne me permet pas de pardonner.



M Lovelace à M Belford.

à Londres, 21 d’août.

Je crois, Belford, que je te dois des malédictions. Cependant je n’anticiperai pas sur le tems, et je vais te faire une plus longue lettre que tu n’en as reçu de moi depuis quelques semaines. C’est l’état des choses, dont je veux t’instruire à mon tour.

Pour te cacher, autant qu’il m’était possible, le temps où j’étais résolu de me mettre en marche, je partis hier à six chevaux, dans un carrosse de milord, aussi-tôt que je t’eus dépêché ma lettre, et j’arrivai le soir à Londres. Je savais qu’il y avait peu de fond à faire sur ton amitié, dans les choses où le caprice de Miss Harlove est intéressé.

Comme je n’avais pas d’autre logement prêt, je me suis vu dans la nécessité de retourner à mon ancien gîte, ou j’ai d’ailleurs toute ma garderobe. Là, j’ai distribué un millier d’imprécations entre la détestable troupe, et j’ai refusé de voir Sally et Polly, non-seulement pour avoir souffert l’évasion de Miss Harlove, mais encore pour l’infame aventure de l’arrêt, et pour leurs insolens propos dans sa prison.

Je me suis couvert d’un habit que je n’ai jamais porté, et que j’avais destiné pour le jour de ma noce. Je me suis trouvé si bien dans cette parure, et si content de moi-même, que j’ai commencé à croire avec toi, que l’endrait par lequel je vaux le mieux est mon extérieur. J’ai pris une chaise à porteurs, dans laquelle je me suis fait conduire chez Smith. Mon coeur sautait de joie, avec des battemens si marqués, qu’on les aurait presque entendus. Je faisais claquer mes doigts au branle de la chaise. J’ai recommandé à mes yeux, de faire paraître tour-à-tour de la langueur et de la vivacité. J’ai parlé à mes genoux, pour leur apprendre comment ils devaient se plier ; et, dans le doux langage d’un de nos poëtes, me prescrivant à moi-même des loix que j’exécutais en imagination : " c’est ainsi, disais-je, que je prononcerai mes tendres plaintes, en fléchissant un genou ;