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s’il n’a pas obtenu encore plus de considération des personnes lettrées de Florence. Il s’est permis quelques entreprises galantes qui ont mis en danger sa personne et sa liberté, et qui l’ont fait abandonner de ses plus illustres amis. Aussi son séjour à Florence et à Rome a-t-il été plus court qu’il ne se l’était proposé. Voilà ce que j’avais à dire de M Lovelace. J’aurais beaucoup mieux aimé que la vérité m’eût permis de lui rendre un témoignage tout-à-fait opposé. Mais, pour ce qui regarde en général les libertins déclarés, moi, qui me flatte de les connaître, et qui sais, non-seulement qu’ils ont sans cesse dans le cœur quelques mauvais desseins contre votre sexe, mais que souvent ils ne sont que trop heureux à les faire réussir : je crois pouvoir ajouter ici quelques réflexions sur ce malheureux caractère. Un libertin, ma chère cousine, un intrigant, un rusé libertin, est ordinairement un homme sans remords. C’est toujours un homme injuste. La noble règle, de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît, est la première règle qu’il viole. Il la viole chaque jour ; et plus il en trouve d’occasions, plus il s’applaudit de son triomphe. Son mépris est extrême pour votre sexe ! Il ne croit pas qu’il y ait de femmes chastes, parce qu’il est lui-même un abandonné. Chaque folle qui le favorise, le confirme dans cette odieuse incrédulité. Son esprit s’occupe sans cesse à multiplier les excès dont il fait ses délices. Si quelque femme a le malheur d’aimer un homme de cette espèce, comment peut-elle soutenir l’idée de partager ses affections avec la moitié de la ville, et peut-être avec ce qu’il y a de plus méprisable ? Et puis, livrée si grossiérement aux goûts purement sensuels ! Quelle femme un peu délicate ne serait pas révoltée contre un ennemi du sentiment, contre un homme qui jette du ridicule sur la fidélité et la tendresse, et qui est capable de rompre un engagement d’amour par une insulte ? Les prières, les larmes, ne feront qu’enfler son orgueil. Il fera gloire, avec ses compagnons de débauche, et peut-être avec des femmes aussi abandonnées que lui, des souffrances et des humiliations qu’il a causées ; et s’il a le droit du mariage, il poussera la brutalité jusqu’à les rendre témoins de son triomphe. Ne me soupçonnez pas d’exagération. Je ne dis rien dont on ne connaisse des exemples. Parlerai-je des fortunes dissipées, des terres engagées ou vendues, et des vols faits à la postérité ; enfin d’une multitude d’autres désordres, dont la peinture serait grossière et choquante pour des yeux aussi délicats que les vôtres ? Que de maux ensemble, et de quelle étrange nature ! Il n’est question, pour les éviter, ma chère cousine ; pour vous conserver le pouvoir de faire le bien auquel vous êtes accoutumée, et de l’augmenter même par le revenu particulier dont on vous laissera la disposition ; pour continuer vos charmans exercices et vos occupations exemplaires ; pour assurer, en un mot, la durée perpétuelle de toutes vos bonnes habitudes ; il n’est question que d’un seul sacrifice : celui du périssable plaisir des yeux. Qui ferait difficulté, lorsqu’il est certain que toutes les qualités ne se trouvent pas dans un même homme, d’abandonner un plaisir si frivole, pour s’en assurer de si importans et de si solides ? Pesez toutes ces considérations, sur lesquelles je pourrais insister avec plus d’avantage, s’il en était besoin avec une personne de votre prudence. Pesez-les attentivement, mon aimable cousine ; et si l’intention de