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d’avoir omis quelque chose qui m’ait paru propre à vous attendrir ; car c’est de vous, madame, c’est du pardon de votre cœur, que je fais dépendre tout mon bonheur pour ce monde et pour l’autre. Rejeté de vous, je n’attends plus rien de la miséricorde du tout-puissant. Je suis assez réveillé, pour comprendre que le pardon de l’innocence injuriée est une condition qui doit précéder celui du ciel, et que dès ici-bas sans doute, l’auteur de notre être donne ce pouvoir à l’innocence, sur les misérables qui osent l’offenser sans raison ; et qui serait autorisé à ce pouvoir, si vous ne l’étiez pas ? En un mot, votre cause, madame, est celle de la vertu, et par conséquent celle de Dieu même : ne dois-je pas m’attendre qu’il la fera triompher par la perte d’un homme qui s’est rendu aussi coupable que moi, si vous marquez, en me rejetant, que vous me jugez indigne de pardon ?

Je vous assure, madame, qu’il n’entre dans mes instances aucune vue temporelle ou mondaine. Je reconnais que je ne mérite point le pardon que je vous demande. Milord M et ses sœurs ne méritent pas non plus le mien. Je les méprise du fond du cœur, pour avoir eu la présomption de s’imaginer que je puisse être conduit par la vue d’aucun avantage qu’ils aient le pouvoir de m’accorder. De tout ce qui respire, il n’y a que vous dont je veuille recevoir des loix. Toute votre conduite m’a paru fondée sur des principes si nobles, et vos ressentimens ont été si justes, que je ne vois rien en vous que sous un air divin ; infiniment plus aimable aussi qu’il n’aurait jamais pu l’être, si vous n’aviez pas souffert les barbares injustices dont le souvenir remplit aujourd’hui mon ame de tristesse et d’horreur. Mais, je le répète, tous mes désirs se réduisent actuellement à quelques lignes, qui puissent guider mes pas incertains, et me faire espérer (si vous portez si loin la condescendance) qu’après avoir vérifié mes promesses par ma conduite, il me sera permis d’aspirer à l’honneur d’être éternellement à vous.

Lovelace.


M. Belford, à M. Lovelace.

Ta situation commence à me faire pitié, depuis que je te crois de bonne foi dans la peinture que tu fais de ton amour et de tes peines ; d’autant plus que, quelque jugement qu’il te plaise d’en porter, il me paraît fort difficile que la santé de Miss Harlove se rétablisse. Je me flatte qu’au fond tu n’es pas fâché que je lui aie communiqué les extraits de tes lettres. La justice que tu n’as pas cessé de rendre à sa vertu, fait tant d’honneur à ton ingénuité, que j’ai cru te rendre un important service ; du moins dans l’esprit d’une femme qui te connaît par des traits moins honorables ; car, avec toute autre, je conviens que j’aurais eu tort : cependant, si vous trouvez mauvais que j’aie pris le parti de l’obliger dans un point que je reconnais délicat, nous nous expliquerons à notre première entrevue ; je vous ferai voir, non-seulement les extraits, mais les liaisons que je leur ai données en votre faveur à l’égard de l’exécution testamentaire, n’entreprends pas, je te prie, de régler ma conduite et mes idées. Je ne dépends de personne, apparemment. Il me semble qu’au contraire tu devrais te réjouir que la justification de sa mémoire soit entre les mains d’un homme qui te traitera, toi et tes actions, comme tu n’en saurais douter, avec toute la douceur que l’honneur lui permettra. Tu me parais toujours surprenant. Que veux tu dire, lorsque tu as le front d’observer " qu’il lui convient peu de crier merci pour elle-même, elle qui n’en a point pour autrui " ? Oses-tu prétendre que les deux cas se ressemblent ? Ce qu’elle demande uniquement, c’est la dernière bénédiction d’un père et d’une mère, leur dernier pardon pour une faute qu’on peut nommer involontaire, s’il est vrai même qu’elle mérite le nom de faute. Elle n’a d’ailleurs aucune espérance d’être reçue de sa famille. Toi, tu demandes le pardon