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dans des termes si raisonnables, qu’elle me pardonnera, si son caractère n’est pas celui d’une véritable Harlove. Mais pour l’exécution testamentaire dont elle pense à te charger, compte qu’il n’en sera rien. Tu ne seras pas son exécuteur. Que je périsse si tu l’es ! Premièrement, elle ne mourra point. En second lieu, nul autre que moi ne lui sera rien, n’osera lui rien être. Ton bonheur est déja trop grand, d’être admis tous les jours en sa présence, de la voir, de lui parler, de l’entendre, pendant qu’il m’est défendu d’approcher à la vue de sa fenêtre. Quelle damnation est-ce donc ici, pour un homme qui lui était autrefois plus cher que tous les hommes du monde ? être capable de jeter sur moi, de la région des étoiles où sa tête m’est cachée, tantôt un oeil de mépris, tantôt un œil de pitié encore plus offensant, c’est ce qu’il m’est impossible de soutenir.

Je t’apprends que ; si ma lettre est sans succès, je saurai surmonter la rampante folie qui a trouvé le moyen de s’insinuer dans mon coeur ; ou bien je l’arracherai, ce cœur, et je l’offrirai à ses yeux, pour lui faire voir combien il est plus tendre que le sien, quoiqu’elle, et toi, et tout le monde, ait pris la liberté de le traiter de rocher. Si je suis rejeté, avertis d’avance les voisins de la maudite Sinclair de transporter ailleurs leurs meilleurs effets ; car ma première démarche sera de mettre le feu à ce repaire de serpens : et comme il n’est point à craindre que je les prenne dans un moment où, suivant le langage de Shakespeare, ces furies aient le goût du salut, ma vengeance sera complette pour ce monde et pour l’autre.



M Lovelace à Miss Clarisse Harlove.

lundi, 7 août.

Malgré les raisons qui doivent me faire craindre autant de difficulté à faire entendre mes prières qu’à mériter ma grâce, je ne puis me défendre de vous écrire encore une fois, pour vous supplier de me donner le pouvoir d’expier, autant qu’il est possible, les injures dont je me reconnais coupable ; et j’espère que cette hardiesse vous offensera moins qu’une visite. Votre pureté angélique et le réveil de ma conscience sont des témoignages qui déposent hautement contre moi. Mais la bonté qui vous porterait à me pardonner, vous donnerait des droits éternels sur ma reconnaissance et ma soumission. Pardonnez-moi donc, ma très-chère vie, ma divinité sur la terre, fondement visible de toutes mes espérances futures ! Comme vous espérez le pardon pour vous-même, vous qui croyez avoir besoin de le demander aussi à la bonté du ciel, daignez me l’accorder, et consentir à vous trouver au pied de l’autel avec moi, devant les personnes qu’il vous plaira de nommer ; pour vous assurer des droits inaltérables sur le plus repentant et le plus affectionné de tous les coeurs. Mais peut-être souhaiteriez-vous un tems d’épreuve. Peut-être une juste défiance et de vifs mécontentemens vous font-ils trouver trop de difficulté à me rendre votre faveur aussi-tôt que mon cœur la désire. Dans cette supposition, je me soumets à toutes vos volontés. Vous ne m’imposerez point de conditions que je n’embrasse avec ardeur, si vous me donnez la moindre espérance qu’après une expiation dont vous réglerez la durée, après des preuves éclatantes d’une réformation telle que vous m’en tracerez les loix, vous consentirez enfin d’être à moi.

Honorez-moi donc de quelques mots de réponse, pour m’encourager dans cet espoir conditionnel, si ce n’est pas pour me donner des espérances plus prochaines et des encouragemens encore plus généreux. Me refuser ma grâce si chère et si précieuse, c’est me jeter dans le dernier désespoir. Mais, alors même, je dois, à toutes sortes de risques, chercher l’occasion de me jeter à vos pieds, pour n’avoir point à me reprocher