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Dites seulement en deux mots (je ne vous demande point que vous m’honoriez du nom de votre fille), dites seulement : malheureuse créature, je vous pardonne, et que le ciel ait pitié de vous ! Voilà mon unique prétention. Que je voie, de votre chère main, quelque chose d’approchant, sur le plus misérable morceau de papier. Je l’appliquerai sur mon cœur ; je le presserai contre mes lèvres, dans mes plus mortelles agitations. Je le regarderai comme un passeport pour le ciel ; et s’il n’y avait pas trop de présomption à demander qu’il fût au nom des deux personnes à qui je dois le plus de respect et d’amour, il ne me resterait rien à désirer. C’est alors que je m’écrierais : " grand Dieu ! Dieu de miséricorde ! Tu vois, dans ce papier, l’absolution d’un père et d’une mère justement irrités. Oh ! Joins-y la tienne, et reçois une pénitente dans les bras de ta bonté " !

Je n’emploie pas, madame, les motifs de la tendresse maternelle, dans la crainte de paroître encore plus coupable aux yeux de mes rigides censeurs. Mais, au nom de Dieu, daignez prononcer que vous m’avez pardonnée, si vous ne voulez pas que le désespoir accompagne jusqu’à sa dernière heure, votre

Cl Harlove.



Miss Charlotte Montaigu, à Miss Clarisse Harlove.

lundi, 7 d’août.

Très-chère miss,

nous n’avons pas attendu la lettre que vous me faites l’honneur de m’écrire, pour juger que M Lovelace est absolument indigne de vous, et qu’il mériterait bien plutôt un rigoureux châtiment, que le bonheur auquel nous ne cessons pas d’aspirer pour lui. Aussi l’espérions-nous moins de votre considération pour un si vil offenseur, que des sentimens d’amitié que nous souhaiterions de vous inspirer pour nous ; car nous étions tous déterminés à vous aimer, à vous admirer, à vous donner les plus tendres marques de notre tendresse et de notre admiration, quelque conduite qu’il pût tenir avec vous.

Mais, après votre lettre, qu’oserons-nous dire de plus ? Cependant je reçois ordre de vous écrire, au nom de toutes les personnes qui vont signer la mienne, pour vous faire connaître à quel point nous sommes touchés de vos peines ; pour vous dire que milord a défendu pour jamais, à M Lovelace, d’entrer dans son appartement ; et comme les malheureux effets du mécontentement de votre famille peuvent vous exposer à quelque incommodité dans votre situation, milord, miladi Lavrance et miladi Sadleir, vous supplient d’accepter pour toute votre vie, ou du moins jusqu’à ce que vous soyez entrée en possession de votre propre bien, cent guinées par quartier, qui vous seront portées régulièrement par une personne de confiance : et ne croyez pas, ma chère miss, nous vous en conjurons tous, que vous ayez obligation de cette offre aux amis du vil personnage ; car il n’a plus un ami parmi nous.

Nous vous demandons tous votre estime, et les mêmes sentimens que vous auriez pris pour nous, si nous avions obtenu le bonheur dont nous faisions notre plus douce espérance. Nos vœux se réuniront sans cesse, pour obtenir du ciel le rétablissement de vos forces, et la plus longue vie ; et puisque vous ne voulez plus recevoir nos sollicitations en faveur de ce misérable, permettez du moins, lorsqu’il sera parti pour les pays étrangers, comme il s’y prépare, que nous cherchions à nous procurer l’honneur