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Les outrages de M Lovelace, l’inflexibilité de mon père, et les duretés de ma sœur, sont les conséquences naturelles de ma propre témérité. Ainsi, je dois me soumettre à mon sort. Mais ces conséquences se succèdent de si près, qu’il me serait bien difficile de n’y être pas sensible à mesure qu’elles arrivent.

Je lui ai demandé si l’on ne pouvait pas espérer qu’une lettre de son médecin ou de moi, écrite avec beaucoup de soumission, pour informer quelqu’un de ses parens du mauvais état de sa santé, fût reçue favorablement ? Ou, si vous jugiez, lui ai-je dit, qu’une explication de bouche produisît un meilleur effet, j’entreprendrais le voyage avec joie, et je me conformerais scrupuleusement à vos ordres.

Elle m’a prié très-instamment de ne former aucune entreprise de cette nature, sur-tout sans sa participation et sans son consentement. Miss Howe, m’a-t-elle dit, avait augmenté ses peines par un zèle excessif ; et s’il y avait quelque chose à se promettre de la médiation, elle avait une tendre amie, Madame Norton, dont la prudence était égale à sa piété, et qui ne laisserait échapper aucune occasion de la servir.

Je lui ai fait connaître que mes affaires m’obligeaient d’être absent de Londres jusqu’à lundi prochain. Elle m’a dit qu’elle me verrait volontiers à mon retour.



Miss Clarisse Harlove, à sa mère.

samedi, 5 août.

Madame, et ma très-honorée mère, un criminel convaincu n’approcha jamais de son juge avec plus de terreur et de repentir, que j’en apporte à vos pieds. Je puis dire, avec la plus parfaite vérité, que, si ma très-humble prière ne regardait pas l’intérêt d’une autre vie, jamais je n’aurais eu cette audace. Mais, après le pardon du ciel, la grâce que j’ai à vous demander est ce qu’il y a de plus nécessaire pour le salut de votre malheureuse fille. Si ma sœur avait connu toutes mes peines, elle n’aurait pas pris plaisir à me déchirer le cœur, par une rigueur qui me paraît excessive. Il me convient peu de me plaindre de sa dureté : cependant, comme elle m’écrit que c’est à moi de faire connaître que mon repentir vient d’une véritable conviction, plus que du renversement de mes espérances, permettez-moi, madame, de vous assurer que je suis dans la disposition convenable pour demander la bénédiction que je sollicite, puisque ma prière est fondée sur le plus sincère et le plus intime repentir ; et vous vous le persuaderez plus aisément, si celle qui n’a jamais eu pour sa mère le moindre déguisement volontaire, mérite d’être crue, lorsqu’elle déclare solemnellement qu’en consentant à voir son séducteur, elle étoit déterminée à ne pas partir avec lui ; que sa téméraire démarche est moins venue de son aveuglement, que d’une odieuse contrainte ; et qu’elle y était si peu portée d’inclination, qu’au moment qu’elle est tombée au pouvoir d’autrui, elle s’est livrée à des regrets amers, qui ne se sont pas relâchés un moment, avant même qu’elle eût sujet de craindre le traitement qu’elle a malheureusement essuyé.

Je vous conjure donc, ma très chère mère, je vous conjure à genoux, car c’est dans cette posture que j’écris, de m’accorder votre bénédiction.