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votre unique vue est d’examiner si l’intérêt de votre réputation vous oblige absolument de traiter un sujet douloureux, sur lequel on vous demande des éclaircissemens. Vos ordres, madame, sont d’une nature si délicate, qu’ils paroissent blesser directement les droits de l’amitié. Cependant, comme vous êtes incapable d’aucune vue dont vous ne puissiez pas avouer les motifs, et que cette communication peut faire du moins quelque honneur à l’ingénuité de mon malheureux ami, quoique sa conduite, à l’égard de la plus excellente de toutes les femmes, lui ait fait perdre tout droit à des qualités plus honorables, je vous obéis avec autant de joie que d’empressement.

(M Belford fait entrer ici les extraits.)

à présent, madame, que j’ai eu le bonheur d’exécuter vos ordres, je me flatte de n’avoir fait aucun tort à mon ami, puisque vous voyez à chaque ligne quelle justice il rend à votre vertu. C’est le langage qu’il tient dans toutes ses lettres, quoiqu’à sa propre condamnation. Je prendrai la liberté d’ajouter que, si vous pouviez obtenir de vous-même, après avoir bien vérifié son repentir, de recevoir ses vœux à l’autel, je ne doute pas le moins du monde que vous n’en fissiez le plus tendre et le meilleur des maris. Quelle joie ne répandriez-vous point dans une noble famille, qui vous regarde avec admiration ; et j’ose dire, dans la vôtre, aussi-tôt qu’une aversion mal conçue, et poussée trop loin contre lui, aurait fait place à la réconciliation ? En effet, si l’on retranche l’objection des mœurs, qui ne croira pas que deux personnes si admirables sont faites uniquement l’une pour l’autre ? à quelque résolution que vous jugiez à propos de vous attacher, permettez, madame, que je vous laisse à décider, à présent que vous tenez de moi les confidences les plus délicates de mon ami, si l’honneur ne vous oblige pas de n’en révéler aucune, et de ne pas laisser paroître que vous en ayez la moindre connaissance ; enfin, de n’en prendre aucun avantage, pas même pour soutenir, comme vous pouvez en avoir l’occasion, qu’il avait un dessein prémédité, non contre vous précisément, mais dans votre personne, contre votre sexe entier, sur lequel je suis fâché de pouvoir rendre témoignage que tous les libertins cherchent à remporter quelque triomphe. Je ne voudrais pas, si j’avais jamais quelque démêlé avec lui, qu’il pût me reprocher que le malheur qu’il aurait eu de vous perdre, et peut-être de perdre avec vous tous ses amis, fût venu de ce qu’il ne manquerait pas de nommer une trahison contre l’amitié ; du moins, s’il en jugeait par les évènemens que je suppose, plutôt que par mon intention.

J’ai l’honneur, madame, d’être avec la plus profonde vénération, votre, etc.

Belford.



Miss Clarisse Harlove à M Belford.

vendredi, 4 d’août.

Je vous dois, monsieur, une reconnaissance extrême pour vos communications. Je n’en ferai jamais d’usage dont vous puissiez me faire un reproche, ni que vous ayez sujet de vous reprocher à vous-même. Je n’avais pas besoin de nouvelles lumières, pour me convaincre du dessein prémédité de votre ami, et ma lettre à Miss Montaigu en fait foi. J’avouerai, en sa faveur, qu’il a observé quelque décence dans le récit qu’il vous a fait de ses indignités les plus choquantes. Si toutes ses étranges confidences sont aussi mesurées dans les termes, je n’y vois rien de plus criminel que son infame coeur, qui a pu s’occuper de tant de ruses barbares, où l’inhumanité n’est pas du tout sur le compte de son esprit. Les hommes du sens le plus borné peuvent réussir dans les plus horribles entreprises, lorsqu’ils se mettent au-dessus de toutes les loix ; et plus facilement encore, contre un cœur innocent, qui, se reposant sur sa propre droiture, en est moins porté à se défier de celle d’autrui. Je trouve, monsieur, que j’ai beaucoup à me louer de vos intentions dans tout le cours de mes souffrances. Il est impossible de n’en pas tirer la conséquence qui se présente d’elle-même, contre sa bassesse préméditée : mais je m’arrête, pour ne pas vous donner lieu de croire que je me sers contre vous, de vos communications.

Comme rien n’est plus inutile que les nouveaux argumens que vous pourriez employer en sa faveur, je dois vous dire, monsieur, pour vous