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j’obtiens tout ce que je désire au monde, car d’un grand, d’un très-grand nombre d’années, il m’est impossible, ma chère, de soutenir la pensée de nous séparer. Vos raisons sont si convaincantes pour ne pas accepter le logement que je vous ai fait offrir, que je sens la nécessité de m’y rendre à présent. Mais lorsque vous aurez l’esprit aussi tranquille qu’il le sera bientôt, après la résolution que vous avez formée, je vous attends près de nous, et peut-être avec nous, pour y trouver la fin de toutes vos peines dans les douceurs d’une solide amitié. Vous réglerez tous mes pas, et je serai sûre de marcher droit avec un si bon guide. Vous souhaiteriez que je n’eusse pas employé ma médiation auprès de votre famille. Je le souhaiterais aussi, parce qu’elle n’a produit aucun effet, parce qu’elle peut donner lieu à de nouvelles persécutions, parce que vous en êtes fâchée. Mais comment pouvais-je demeurer indifférente à la vue de vos peines ? Je veux m’arracher cette idée ; car toute ma chaleur renaît, et je crains de vous déplaire. Il n’y a rien au monde que je voulusse faire, rien qui pût m’être agréable, si je croyais vous désobliger ; et rien aussi que je ne fusse capable d’entreprendre pour vous faire plaisir. Comptez, ma chère et rigoureuse amie, que je m’efforcerai d’éviter également le reproche et la faute.

La même raison m’empêchera de vous expliquer mon sentiment sur la lettre que vous écrivez à votre soeur. Elle est bien, parce qu’elle vous paraît telle ; et si la réponse vous apprend qu’elle ait été reçue comme elle doit l’être, vous serez confirmée dans l’opinion que vous en avez. Mais s’il arrive, comme il n’y a que trop d’apparence, qu’elle ne vous attire que des injures et des outrages, il me semble que votre intention n’est pas de m’en informer.

Vous avez toujours été trop prompte à vous accuser des fautes d’autrui, trop disposée à soupçonner votre propre conduite, lorsqu’elle ne s’est point accordée avec le jugement de votre famille. Si c’est une vertu, je vous ai dit bien des fois que je ne suis pas capable de l’imiter. Je ne connais rien qui m’oblige à croire que la sagesse consiste dans les années, ni que l’imprudence et la folie soient le partage nécessaire de la jeunesse. C’est peut-être le cas le plus commun, qui se trouve vérifié, je le veux, dans l’exemple de ma mère et dans le mien : mais je soutiens hardiment qu’il ne l’a point encore été entre les chefs des Harlove et leur seconde fille. Pourquoi chercher d’avance des excuses pour leur cruauté, en supposant qu’ils ignorent ce que vous avez souffert, et le mauvais état de votre santé ? Ils sont informés de vos souffrances, et je sais qu’ils n’en sont pas affligés : on ne les a pas moins instruits de votre maladie, et j’ai de fortes raisons de juger comment ils ont pris cette nouvelle. Mais je n’éviterai ni la faute ni le reproche, si je m’arrête plus long-temps sur cet odieux sujet. Ce que j’en conclurai seulement, c’est qu’à leur égard votre vertu est poussée jusqu’à l’excellence ; et que, par rapport à vous, leur dureté va… de grâce, ma chère, permettez que je leur rende un peu de justice. Mais vous me le défendez, je le sais, et je vous obéis malgré moi. Cependant, si vous devinez le mot que j’aurais employé, ne doutez pas qu’il ne soit d’une justice extrême.

Vous me faites entendre que, si j’étais mariée, et si M Hickman était dans la même disposition que moi, non-seulement vous seriez portée à me rendre une visite, mais qu’il vous serait difficile de quitter le lieu où nous aurions