Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/445

Cette page n’a pas encore été corrigée

Miss Harlove s’enferma hier à six heures du soir, dans le dessein de ne voir personne aujourd’hui jusqu’à la même heure. Pourquoi ? Parce que c’est aujourd’hui le jour de sa naissance, qu’elle veut célébrer par des exercices de piété. Le jour de sa naissance ! Une fleur qui ne fait que s’épanouir, et qui décline déjà vers sa fin ! Tous ses autres jours de naissance ont sans doute été plus heureux. Quelles doivent être ses réflexions ! Quelles doivent être les tiennes ! Ta raillerie s’exerce sur mes aspirations, sur ce que tu appelles mes prosternemens, et sur la manière dont je lui ai présenté le billet de banque. Le respect, dans cette occasion, agissait trop fortement sur moi. J’appréhendais trop de lui déplaire, pour lui faire cette offre avec des grâces plus convenables à mes intentions. Si l’action était grossière, elle était modeste. Mais je conçois qu’elle n’en est que plus ridicule aux yeux d’un homme qui n’entend pas mieux la délicatesse et la modestie dans la manière d’obliger, qu’en amour. Apprends qu’on peut dire du respect inviolable, ce que le poëte a dit de la sincère affection : " je parle ; j’ignore ce que je dis. Ah ! Parlez, parlez de même ; et si je ne vous réponds pas autrement, nous en aurons montré plus d’amour. L’amour est un enfant qui parle un langage mal suivi ; mais c’est alors qu’il se fait le mieux entendre ". L’application est juste au respect modeste qui fait trembler un humble adorateur devant l’autel sur lequel il veut faire son offrande, et qui lui fait jeter mal-adroitement, derrière l’autel, l’encens qu’il devait mettre dessus. Mais, comment une ame qui a pu traiter brutalement la délicatesse même, serait-elle capable ici de m’entendre ?



M Belford à M Lovelace.

mercredi, 26 de juillet.

Je ne suis à la ville que de ce matin. Mes premiers pas m’ont conduit chez Smith. Le compte qu’on m’a rendu de la santé de Miss Harlove, ne me rassure pas pour l’avenir. Je lui ai fait présenter mes respects ; elle m’a fait prier de remettre ma visite à l’après-midi. Madame Lovick m’a dit que samedi, après mon départ, elle avait pris le parti de se défaire d’une de ses plus belles robes ; et que, dans la crainte que l’argent ne vînt ou de vous ou de moi, elle avait voulu voir la personne qui s’est présentée pour l’acheter. C’est une dame à qui Madame Lovick a quelques obligations, et qui l’achète pour sa propre fille, qu’elle est prête à marier. Quoiqu’elle soit capable de profiter de l’infortune d’autrui en prenant cette robe fort au-dessous de ce qu’elle vaut, on la peint comme une fort honnête femme, qui a marqué beaucoup d’admiration pour Miss Harlove, et qui s’est même attendrie jusqu’aux larmes sur quelques circonstances qu’on lui a racontées de son histoire. C’est un démon bien odieux que celui de l’amour-propre, puisqu’il a le pouvoir d’engager jusqu’aux gens de bien dans les plus cruelles et les plus infames actions : car je mets peu de différence entre un voleur qui saisit l’occasion d’un incendie pour enlever la bourse de son voisin, et celui qui prend avantage de la misère d’un autre pour faire un profit illégitime sur les restes de son bien, lorsqu’un simple mouvement d’humanité devrait le porter à le secourir. Vers trois heures, je suis retourné chez Smith. Miss Harlove avait la plume à la main ; cependant elle a consenti à recevoir ma visite. J’ai remarqué une fâcheuse altération sur son visage. Madame Lovick, qui est entrée avec moi, en accuse son assiduité continuelle à écrire, et l’excès d’application qu’elle apporta hier à ses exercices de piété. J’ai pris la liberté de lui dire que je ne la croyais pas exempte de reproche, et que le désespoir de la santé augmentait les difficultés de la guérison. Elle m’a répondu qu’elle était également éloignée du désespoir et de l’espérance. Ensuite, s’approchant de son miroir : mon visage, a-t-elle dit, est une honnête peinture de mon cœur. L’ame est prête à suivre, aussi-tôt que le corps aura fini ses fonctions. L’écriture, a-t-elle continué, est mon seul amusement ; et j’ai plusieurs sujets qui me paroissent indispensables. à l’égard du matin que j’y emploie, je n’ai jamais aimé à le donner au sommeil ; mais à présent j’en ai moins le pouvoir que jamais. Il a fait