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point, ma chère : mais je suis sûre, si je puis le dire avec aussi peu de présomption que de regret, que j’arriverai bientôt au terme de toutes les agitations humaines. à présent, ma chère amie, vous connaissez entièrement le fond de mon ame. Ayez la bonté d’écrire aux dames de cette illustre maison, que je leur suis infiniment obligée de la bonne opinion qu’elles ont de moi ; et que j’ai été plus flattée que je ne croyais pouvoir l’être dans cette vie, d’apprendre que, sans me connaître personnellement, elles m’ont crue digne, après ma disgrâce, d’une alliance avec leur honorable famille, mais qu’il m’est absolument impossible d’accepter l’offre de leur parent. Joignez-y, ma chère, un extrait de ma lettre, tel que vous le jugerez nécessaire pour donner quelque poids à mes raisons. Je serai charmée de savoir quel jour vous partirez pour votre voyage, dans quel lieu vous vous arrêterez, et si vous ferez un long séjour dans l’ île de Wight. Ne me laissez rien ignorer de ce qui concerne votre bonheur et votre santé.



M Belford à M Lovelace.

à Edgware, lundi, 24 juillet.

Quelle peine tu prends pour te persuader que la mauvaise santé de Miss Harlove vient de sa dernière disgrâce et de l’implacable ressentiment de sa famille ! L’un et l’autre ne viennent-ils pas de toi dans l’origine ? Quel embarras pour une bonne tête qui entreprend d’excuser les effets d’un mauvais cœur ! Mais il n’est pas surprenant que celui qui est capable d’une mauvaise action préméditée, se satisfasse par une mauvaise excuse. Cependant, quelle opinion doit-il avoir des autres, s’il croit pouvoir leur en imposer aussi facilement qu’il s’en impose à lui-même ? En vain tu rejettes sur l’orgueil et l’obstination, la nécessité où tu l’as réduite de se défaire de ses habits. Quel autre parti prendrait-elle, avec la noblesse de ses sentimens ? Ses implacables parens lui refusent les petites sommes qu’elle a laissées derrière elle, et souhaiteraient, comme sa sœur le déclare avec audace, de la voir dans le dernier besoin. Ils ne seront donc pas affligés de son embarras ; et peut-être prendront-ils plaisir à le publier, comme une justification du ciel pour la dureté de leurs coeurs. Tu ne saurais supposer qu’elle voulût recevoir de toi les moindres secours. En accepter de moi, ce serait, dans son opinion, les recevoir de toi-même. La mère de Miss Howe est une femme avare ; et je doute que sa fille puisse rien sans sa participation. D’ailleurs Miss Harlove est absolument persuadée que les effets dont elle veut disposer, ne lui seront jamais d’aucun usage. N’ayant rien appris de la ville qui m’oblige d’y retourner aujourd’hui, je ferai le plaisir au pauvre Belton, de lui tenir compagnie jusqu’à demain, et peut-être jusqu’à mercredi. Ce malheureux homme voudrait me voir sans cesse à son côté. Que je le plains ! Il est dans un abattement qui fait pitié. Rien ne le divertit. Mais quel service puis-je lui rendre ? Quelle consolation suis-je capable de lui présenter, soit dans sa vie passée, soit dans la perspective de l’avenir ? Nos liaisons et nos amitiés, Lovelace, ne portent que sur la vie et la santé. Lorsque les maladies arrivent, nous jetons les yeux autour de nous, et les uns sur les autres, comme des oiseaux effrayés à la vue du milan qui est prêt à fondre sur eux. Que nous sommes foibles alors, avec toutes nos affectations de courage ! Tu crois voir, dis-tu, que je pense de bonne heure à la réformation ; je souhaite que tu devines juste. La différence extrême que je remarque entre la conduite de cette admirable femme dans le cours de sa maladie, et celle du pauvre Belton dans la sienne, me fait connaître, avec la dernière clarté, que les libertins sont les poltrons réels, et que les gens de bien sont les véritables héros. Tôt ou tard nous l’éprouverons nous-mêmes, si nous ne sommes pas enlevés par quelque accident soudain.