Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/443

Cette page n’a pas encore été corrigée

afflictions et à pleurer mes fautes ? Tout le monde ne saura-t-il pas la raison qui oblige Clarisse Harlove de chercher la solitude, et de se dérober au commerce des hommes ? Chaque regard de ceux qui s’approcheront de moi, n’aura-t-il pas la force d’un reproche ? Et quand les yeux d’autrui ne m’accuseraient pas, ne lirait-on pas ma disgrâce dans les miens ? Qu’ai-je donc, ma chère, mon unique amie, qu’ai-je à souhaiter de plus heureux que la mort ? Et qu’est-ce que la mort après tout ? Ce n’est que la cessation d’une vie mortelle ; c’est la fin d’une course mesurée ; un port, après une pénible navigation ; le terme de toutes les inquiétudes et de tous les soins : et si cette mort est heureuse, c’est le commencement d’un bonheur immortel. Si je ne meurs point à présent, il peut arriver que la mort me surprenne moins préparée. Supposons que j’eusse évité le précipice où je suis ; elle serait venue peut-être au milieu de quelque espérance flatteuse, lorsque mon cœur enivré des vanités terrestres n’aurait eu de goût que pour la vie. Mais je me hâte, ma chère, d’ajouter pour votre satisfaction, que, malgré les raisons qui me font désirer la mort, je ne voudrais pas, comme une ame lâche, abandonner mon poste lorsque je peux le conserver, et lorsque la volonté du ciel m’en fait un devoir. Il est vrai que je me suis sentie pressée plus d’une fois par cette coupable pensée : mais c’était dans le trouble de mes plus vives douleurs. Une fois particulièrement, j’ai raison de croire que mon désespoir m’a garantie du plus infame outrage. ô ma chère ! Vous ne vous imaginez pas ce que j’ai souffert dans cette fatale occasion ; et je ne sais pas moi-même de quoi le ciel m’a sauvée, lorsque le misérable voulut s’approcher de moi pour exécuter ses horribles desseins. Je me souviens avec étonnement d’une résolution, d’un courage que je n’avais jamais senti ; d’un courage accompagné de modération, et d’un empire sur tous les mouvemens de mon ame. Ce que j’en puis dire, c’est que je ne comprends pas encore d’où me venait cette merveilleuse élévation, si ce n’était pas du ciel, à qui je l’avais demandée par mes plus ardentes prières, en formant le dessein de braver une troupe de monstres. Comme je suis persuadée que des violences exercées sur moi-même, après l’horrible attentat, auraient marqué plus de vengeance et de désespoir que de véritables principes, je ne me croirais pas moins criminelle aujourd’hui si je négligeais ma santé par obstination, et si je me jetais volontairement dans les bras de la mort, lorsque je puis l’éviter. Quelles que soient là-dessus les suppositions de ce méprisable mortel, de cette ame basse et aveugle, n’attribuez pas non plus, ma chère, à des excès de mélancolie et d’abattement, ni même à des motifs d’orgueil et de vengeance, la résolution à laquelle je m’attache de ne jamais être sa femme, et jamais par conséquent celle d’aucun homme. Loin de mériter ces imputations, je vous proteste, ma chère et fidèle Miss Howe, que je ferai tout ce qui dépend de moi pour la prolongation de ma vie : et, jusqu’à ce qu’il plaise au ciel de la reprendre dans sa bonté, je reçois ma punition comme une justice qu’il rend à mes fautes ; je ne me déroberai point au poids dont il me charge, et je lui demanderai la patience de le supporter. Lorsque je me sentirai de l’appétit, je donnerai à la nature ce qu’elle demandera pour son soutien. J’exécuterai ce qui me sera prescrit par les médecins : en un mot, je ferai tout ce qui dépendra de moi, pour convaincre ceux qui daigneront s’informer de ma conduite, que je n’ai pas manqué de fermeté dans mes peines, et que je me suis du moins efforcée de résister aux maux que j’ai attirés sur moi. Mais voici, ma chère, une autre raison ; une raison, qui vous convaincra vous-même, comme je vous l’ai promis, que je dois éloigner toute idée de mariage, et me livrer à des soins tout-à-fait différens. Je suis persuadée, avec autant de certitude que j’en ai d’exister, que votre Clarisse ne sera pas longtems au monde. Le vif sentiment que j’ai toujours eu de ma faute, la perte de ma réputation, l’implacable disposition de mes proches, joint au barbare traitement que j’ai essuyé lorsque je le méritais le moins, m’ont saisi le coeur avant qu’il fût aussi bien fortifié par les motifs de religion que j’ose me flatter qu’il l’est aujourd’hui. Que ce langage ne vous chagrine