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que la complaisance pour leurs sollicitations et pour les siennes est le meilleur parti que vous puissiez embrasser ; sur-tout lorsque votre propre famille demeure implacable. Il est homme sensé. Pourquoi désespérer qu’il puisse devenir un bon mari, et quelque jour, peut-être, un sujet de quelque mérite ? Ma mère est tout-à-fait de mon opinion. M Hickman eut hier une conférence avec lui, comme je crois vous l’avoir annoncé. Quoiqu’il n’y ait pas pris beaucoup de goût pour ses manières, il le croit sincèrement déterminé à vous épouser, si vous daignez vous rendre à ses instances. Peut-être verrez-vous M Hickman avant notre départ. Si je ne puis vous voir moi-même, je ne partirai pas tranquille sans vous avoir vue par ses yeux. Il vous rendra compte alors de l’admirable portrait que le misérable fait de vous, et de la justice qu’il rend à votre vertu. Ses aveux ne sont pas moins nets dans sa famille, s’il faut s’en rapporter au témoignage de ses cousines. " sa crainte, a-t-il dit à M Hickman, est qu’en faisant éclater vos plaintes, vous ne vous couvriez tous deux d’une tache que le mariage même ne serait pas capable d’effacer. Il appréhende aussi que vous ne ruiniez votre santé par un excès de tristesse ; et qu’en cherchant la mort, lorsque vous pouvez l’éviter, vous vous mettiez hors d’état de vous en garantir, lorsque vous aurez moins de dégoût pour la vie ". Ainsi, très-chère Clarisse, je vous exhorte à surmonter, s’il est possible, votre aversion pour ce monstre. Vous pouvez encore vous promettre d’heureux jours, et redevenir les délices de vos amis, comme votre amitié fera toujours le bonheur de votre fidèle Anne Howe.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

dimanche, 23 juillet.

Que je suis sensible, ma très-chère amie, à cette tendre ardeur qui ne se refroidit pas pour mes intérêts ! Qu’il est vrai que le noeud d’une amitié pure et l’union des ames l’emportent sur tous les liens du sang ! Mais quoique je fasse ma gloire de votre affection, songez, ma chère, combien il est chagrinant pour un cœur qui n’est pas sans générosité, de ne pouvoir rien mettre dans la balance des services et des bienfaits. Songez combien il m’est douloureux de ne causer que des peines à une chère amie, que je faisais mon bonheur d’obliger ; et de nuire peut-être à sa réputation, par les efforts qu’elle fait continuellement pour fermer la bouche à mes impitoyables censeurs ! Croyez-moi, chère amie ! C’est le motif de mes regrets les plus amers, et ce qui me fait souvent jeter les yeux derrière moi, sur une heureuse situation dont il ne me reste que le souvenir. Vous me représentez les raisons qui doivent me porter à prendre M Lovelace pour mon mari, et vous les fortifiez de l’autorité de votre respectable mère. J’ai devant moi toutes vos lettres, et celle de milord M et des dames de sa famille. J’ai pesé vos argumens ; je me suis efforcée d’y apporter toute l’attention dont mon cœur et mon esprit sont capable dans l’état où je suis. Je me sens même disposée à croire, non-seulement sur votre propre opinion, mais encore sur les assurances d’un ami de M Lovelace, qui se nomme M Belford, homme d’un naturel fort humain, et qui paraît entrer de bonne foi dans mes peines, que son ami n’a pas eu de part à ma dernière disgrâce. J’ajouterai, par la déférence que j’ai pour votre sentiment et pour le témoignage de M Hickman, que je le crois sérieusement déterminé à m’épouser, si je consens à recevoir sa main. Quel est le résultat de toutes mes réflexions ? Le voici, ma très-chère Miss Howe, et n’en soyez pas fâchée ; c’est de m’attacher à la résolution que je vous ai déjà déclarée, et de vous répéter que la mort me causerait moins d’horreur qu’un mari de ce caractère ; en un mot, que je ne puis, et, pardonnez-moi si j’ajoute, que je ne veux jamais être sa femme. Vous entendrez sans doute mes raisons ; et si je me dispensais de vous