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Mais la plus jolie de toutes tes extravagances, c’est d’avoir laissé tomber ton billet de banque derrière son fauteuil, au lieu de t’être mis à genoux pour le présenter. Tu as voulu lui donner apparemment la double peine de l’accepter, et de l’aller prendre à terre. Que tu t’entends mal à faire une galanterie ! Comment a-t-il pu t’entrer dans la tête que la meilleure manière de faire un présent à une dame, fût de le jeter derrière son fauteuil ? Ma curiosité est extrême pour ce qu’elle peut avoir écrit à sa sœur, pour la réponse qu’elle en recevra, et pour ce qu’elle écrit actuellement à Miss Howe. N’imagineras-tu pas quelque moyen de te procurer une copie de ces lettres, ou du moins un extrait ? Il me semble que tu donnes Madame Lovick pour une femme de piété. Ma charmante, qui lui a fait des ouvertures si particulières, ne manquera pas de lui communiquer tout : et toi, qui penses à te réformer, ne saurais-tu profiter de cette ressemblance de sentimens avec la veuve, pour te mettre en état de me rendre ce petit service ? Quel âge a-t-elle, Belford ? Jamais on ne voit d’amitié entre un homme et une femme de même âge, qui ne finisse par le mariage ou par quelque chose de pis. Qu’en dis-tu ? Je t’assure que l’influence d’un prosélyte est extrême sur les bonnes ames. C’est un saint de leur création ; elles se font une gloire de l’arroser, de le cultiver et de le chérir, comme une plante qui leur doit la naissance. Leur premier motif est un orgueil purement spirituel. Mais je trouve un peu de consolation dans cette espèce de regret que tu lui prêtes, de m’avoir vu répondre si mal à ses espérances. En matière d’amour, ce qu’une femme espère une fois, elle l’espère toujours ; du moins, tandis qu’il reste du fondement pour l’espérance. Et ne sommes-nous pas libres tous deux ? Peut-elle être à quelqu’autre homme ? Souhaiterais-je jamais une autre femme ? Non, jamais, jamais. Je t’apprends que de jour en jour, d’heure en heure, ma passion redouble pour elle ; que mes vues sont honorables, dans le sens le plus étroit qu’elle attache à ce terme ; que depuis huit jours je n’ai pas varié, même dans mes désirs ; que toutes mes résolutions sont aussi fermes, aussi tournées en nature, que mes principes de vie libre l’ont été, tandis que l’indépendance m’a paru préférable aux chaînes du mariage.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

samedi, 22 de juillet.

Nous faisons nos préparatifs, pour le petit voyage que ma mère croit indispensable. Mais je suis sûre d’être assez malade pour l’obliger absolument de le différer, si je n’apprends pas que vous vous portiez beaucoup mieux avant notre départ. Le messager m’avait jetée dans une mortelle affliction, en m’apprenant l’état où il vous avait trouvée. Cependant, depuis que vous êtes capable de tenir une plume, et que votre tête s’est fortifiée, j’espère que la douceur de méditer et d’écrire contribuera de jour en jour à votre rétablissement. Je vous dépêche cette lettre par un exprès, afin qu’elle arrive assez tôt pour vous exciter à de nouvelles considérations sur le sujet de mes dernières. Ne m’écrivez rien de décisif, sans y avoir apporté vos plus sérieuses réflexions ; car c’est sur votre réponse que je dois régler la mienne. Dans votre dernière, vous déclarez positivement que vous ne voulez pas être à lui. Assurément il mérite plutôt une mort infame, que le bonheur d’obtenir une moitié telle que vous. Mais comme je le crois innocent de votre dernière disgrâce, et que toute sa famille plaide pour lui, je suis persuadé