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ne tombe pas sur une ingrate. D’ailleurs, je ne crains pas qu’elle vous lasse par sa durée. Ma perspective la plus proche est la mort. Si je vis assez pour me voir déchargée d’une pesante malédiction, qui n’est déjà que trop accomplie dans tout ce qui regarde ce monde, c’est tout ce qui me reste à désirer ; et j’entendrai sonner ma dernière heure avec toute la joie d’un voyageur fatigué, qui arrive à la fin d’une course pénible ". Alors, penchant la tête contre le dos de sa chaise, et se couvrant le visage de son mouchoir, elle est demeurée quelques momens comme ensevelie dans sa douleur et dans ses larmes. La voix nous a manqué à tous pour lui répondre. Insensible comme tu l’es, ta présence, peut-être, nous aurait fait rougir d’une foiblesse, dont je m’imagine que tu ne fais que rire en lisant ma lettre. Elle s’est ensuite retirée dans sa seconde chambre, où son abattement l’a forcée de se mettre au lit. Je suis descendu avec les deux femmes, et pendant une demi-heure nous nous sommes livrés à l’admiration. Madame Lovick et Madame Smith ont répété vingt fois qu’il leur paroissait incroyable que dans le monde entier, il pût se trouver un homme assez barbare pour offenser volontairement une femme si charmante. Elles ont remercié le ciel d’avoir conduit un ange dans leur maison. C’en est un, je le crois comme elles ; aussi sûrement que milord M a présentement un diable dans la sienne. Je te hais, Lovelace. Par ma foi, je te hais. Il me semble qu’à chaque moment ma haine augmente.



M Lovelace, à M Belford.

samedi, 22 de juillet.

Pourquoi me hais-tu, Belford ? Et pourquoi ta haine augmenterait-elle à chaque moment ? Me suis-je rendu coupable de quelque nouvelle offense ? Si les lamentations peuvent émouvoir un cœur tel que le tien, sont-elles capables d’altérer les faits ? N’ai-je pas toujours rendu à cette incomparable personne autant de justice que toi, ou qu’elle-même ? Quelle apparence de raison dans ta haine, lorsque je ne me relâche point du dessein de l’épouser, suivant la parole que je t’en ai donnée, et suivant les loix que je me suis imposées dans ma famille ! Mais déteste-moi si tu veux, pourvu que tu ne cesses pas de m’écrire. Je te défie de me haïr autant que je me hais moi-même. D’ailleurs, je suis certain que si tu me haïssois réellement, tu ne me le dirais pas dans ces termes. Fort bien. Mais après tout, quel besoin d’apprendre son histoire à ces femmes ? Elle regrettera, dans quelque tems, de nous avoir compromis tous deux sans aucune utilité. Le poison de la maladie éteint tous les désirs, et donne du dégoût pour ce qu’on a le plus aimé. Mais un renouvellement de santé change la scène, nous rend contens de nous-mêmes, et nous dispose à l’être bientôt des autres. Toutes les espérances renaissent ; chaque moment se présente sous une apparence plus gaie. Je suis ravi qu’elle soit déjà mieux, jusqu’à pouvoir soutenir un si long entretien avec des étrangers. Cependant, n’est-il pas affreux qu’elle préfère la mort à moi ! (la mort ! ô l’horrible mot, que tu prodigues néanmoins presqu’à chaque ligne !) à moi qui ne l’ai offensée dans le fond qu’en suivant mon caractère, tandis que ses parens sont sortis honteusement du leur, et tandis que, pour l’obliger, je suis prêt à sortir aussi du mien ? Cependant on me refuse un pardon qui leur est accordé ! Assurément tu dois voir qu’il y a peu de justice dans tous ses sentimens. Cependant, avec ton épaisseur ordinaire, tu souhaites déjà qu’elle t’attire après elle. Pauvre Belford ! Quelle figure tu dois faire, avec tes discours aussi empesés que les manchettes d’Hickman, avec tes soupirs, avec tes génuflexions ! Avec une foible tête, peu accoutumée au sublime langage de cette charmante créature !